Reportage


Charité Jean, dans son élan d’être utile à sa communauté, choisit de lutter comme militante et agent social dans le milieu où elle évolue. Toujours déterminée à servir, elle décide de mettre sa pierre de contribution à la résolution des problèmes auxquels confronte le pays. Elle espère un avenir luisant pour Haïti malgré la situation délétère liée à la politique et l’insécurité. De taille imposante, Mme Charité porte un pantalon multicolore, un corsage bleu, un foulard bleu à la tête et une sandale de couleur blanche aux pieds. Ses boucles d’oreilles suspendent comme une pomme. Son large sourire témoigne de son espoir de vivre. Autour d’elle, Mme Charité a plusieurs femmes qui viennent l’aider à nettoyer les batteries de cuisine. 

Il est 4 heures de l'après-midi, le soleil commence à traverser à l'occident. Nous sommes au local de l’école communautaire de l’amitié dans la zone EPPLS. Ce même bâtiment qui sert aussi de siège pour son organisation Timoun se lespwa demen. Pour pénétrer dans ce lieu, deux piles d’immondices s’entassent aux deux extrêmes du bâtiment bloquant l’accès à l’école en voitures et à motocyclettes. Dès l’âge de 12 ans, elle s’intéresse à la vie politique. Malgré l’opposition de ses parents, Mme Charité va suivre son instinct. Une expérience particulière à côté du prêtre Jean-Marie Vincent, qui a été un mentor pour elle, donne à son rêve plus de forme. 

Une militante qui a côtoyé de vieux briscards de la politique 

Elle prend le goût de la politique dans les regroupements dénommés Ti Komite Legliz (TKL) au niveau de l’église catholique romaine. Ces regroupements vont lui procurer des doses nécessaires pour continuer sur cette lancée. Ce chemin politique va lui permettre de côtoyer Jean Bertrand Aristide, à l’école de la fondation de Don Bosco du Cap-Haïtien qui plus tard va devenir le président d’Haïti. D'un cœur rempli de joie, souriante, elle nous raconte la genèse de sa vie politique. « Lorsque j'avais 12 ans, à cette époque dans mon obstination à écouter les nouvelles, mon père m’oblige d'aller sous le lit. Dans mes questionnements, je commence à trouver des explications. Ma rencontre avec le prêtre Jean Marie Vincent m’a permis de m'initier à la politique par le biais du groupe Ti Legliz en (petite église, en français). Nos points de rencontre étaient parfois soit à Hôtel Beck ou Saint Jean Bosco ou Morne Calvaire. Il nous enseignait sur ce qu'est la politique. Le mouvement va continuer. A la fondation Vincent, je vais rencontrer le président Jean Bertrand Aristide, c'était un moment exceptionnel, sous le label de Ti Komite Legliz », se souvient elle.

Elle va aussi militer à côté de Madame Elvire Eugène Edmond et participe à la création de l’association des femmes Solèy d'Ayiti (AFASDA) dans l’objectif de défendre les droits des fillettes et des femmes. Aujourd’hui, elle est sa porte-parole dans la zone EPPLS Nan Bannann de la Cité Christophienne. Elle nous raconte que c’est après le premier coup d'état du président Jean Bertrand Aristide en 1991, suite à des viols répétitifs des fillettes dans le Nord qu’elle a rejoint Elvire Eugène Edmond afin de mettre sur pied AFASDA en vue de sauver les fillettes, les adultes victimes de violence et de viol.

À 20 ans, elle a pris sa totale autonomie en retrouvant d'autres militants de la ville dont Rameau Julmiste, André Sans Rancune et Gabeau Saint Preux. 

En tant qu’ancienne militante de La Famni Lavalas, aujourd’hui elle s’affiche au côté de Jean-Charles Moïse, le leader de Pitit Dessalines. Elle nous fournit les détails sur ce virement: Maryse Narcisse, dans une discussion avec Jean Charles Moïse, aurait fait savoir qu'elle a cherché son nom pendant trois mois dans la liste des membres du parti, elle ne l'a pas retrouvé. « Cela m'a écœuré. Je disais en moi-même que si on a traité Moïse de la sorte, qu'en est-il de moi. Je laissais Fanmi Lavalas et je rejoins le leader de Pitit Dessalines », argüe-t-elle. Mme Charité, est mère de 4 enfants, 3 filles et un garçon. Sous le soleil de la deuxième ville historique et touristique du pays, Cap-Haïtien, elle est née à l’hiver de 1969 à l’hôpital universitaire de Justinien. Elle grandit dans les banlieues de Bannann et la Fossette, décrivant une adolescence heureuse en compagnie de sa famille. De très tôt elle fréquente l’école des Sœurs de Sainte Catherine, jusqu’à la classe Terminale. 

Son combat au bénéfice des enfants vulnérables

Face au mode de vie précaire des familles de la zone et dans un souci d’entraide, elle ne se contente pas d’être une militante. Elle s’adonne à offrir ses services à des personnes vulnérables de sa communauté. En ce sens, elle a mis sur pied une organisation dénommée Timoun se lespwa demen. Du lundi à dimanche, un plat chaud est desservi à des centaines d'enfants de la zone et ses environs. « Je connais Mme Charité dès mon enfance, comme une dame qui travaille avec les personnes à mobilité réduite et les enfants des rues. Jusqu’à présent elle continue dans cette même pratique », explique Fritznel Bien-Aimé dit Frito, président de la Société Organisée pour la Gestion de l’Environnement (SOGEE). 

Yvanne Jean Baptiste, 63 ans, nous fait part de son témoignage. Madame Charité est considérée comme la mère de tout le monde dans ce quartier. Elle est pleine de bonté et de compassion pour les faibles. Elle aime aider les plus démunis. Mme Charité, une veuve de 52 ans passe son temps entre les réunions politiques et le service social auprès des démunis de la société, spécialement les enfants et les personnes à mobilité réduite de Nan Bannann. « Nous avons créé le centre Timoun se lespwa demen. Nous avons un effectif de 400 enfants démunis. Du lundi à dimanche nous nourrissons ces enfants de Nan Bannann et d’autres zones grâce au support de Food Fo  the Poor. Nous baignons les enfants des rues chaque samedi puis nous les offrons à manger », souligne-t-elle. 

Madame Charité précise que le centre Timoun se lespwa demen offre un cours de coupe et confection à tous les enfants de la zone et de ses environs à un prix réduit. 100 gourdes inscriptions et 500 gourdes l’an. « Avec ces 500 gourdes, nous  leur donnons quelques matériels », confie-t-elle. Pierre Melchior Joseph alias Mèt Touris, administrateur de l’école communautaire de l’amitié, située dans la zone EPPLS de Nan Bannann a confirmé que Mme Charité est une bonne collaboratrice. Son organisation Timoun se lespwa demen est logée dans cet établissement. Elle travaille au profit des démunis. Que les enfants aient de l’argent ou pas, elle les reçoit.

Les femmes au pouvoir n’encadrent pas assez les femmes 

Dans son constat de la vie politique de ce pays, où les femmes malgré leur nombre grandissant n’arrivent pas à s’imposer correctement, elle avance que la politique devient une sorte de prostitution. « À mon époque, les militants étaient respectueux des militantes. Nous cohabitons sans aucun problème. Il n’y avait pas de prostitué politique, comme aujourd’hui », se plaint-elle. Elle croit que les femmes qui sont arrivées au sommet de l’État n’encadrent pas vraiment les autres femmes. C’est pour cela que le quota exigé est négligé, donc n’est pas respecté dans les institutions publiques du pays. « En politique, les hommes ont plus de compassion que les femmes élues. Ces dernières n’encadrent pas vraiment les autres femmes. Elles utilisent des mensonges pour amadouer les gens », fait-elle savoir. Malgré le fait que la politique en Haïti se fait par des coups bas, des trahisons, du mensonge, de l'assassinat de caractère, elle avoue être très satisfaite de sa vie faite de militante. « C'était une belle époque, on était bien encadré par les hommes qui nous manifestaient beaucoup de respect. On aidait les militants à trouver de l'emploi ainsi que les membres de leur famille ».

Le plus grand souci de la vie pour Mme Charité c’est de mettre sur pied une maison d’accueil pour les pauvres des rues, mais jusqu’à présent, elle soupire à un tel projet. Elle s’engage dans une bataille auprès des autorités et de ses camarades politiques afin d'aboutir à ce projet. Elle souhaite aussi une amélioration de la vie des riverains de Nan BannannLa Fossette qui se trouvent dans un état critique, à cause de la dégradation constante de leur environnement où les inondations sont fréquentes.« Aujourd'hui nous ressemblons à ces fatras de la zone, les canaux se regorgent d’ordures et de boues, personne ne nous visite. Demain quand il y aura des élections, ils nous visiteront pour avoir les votes de la Fossette, Cité EPPLS et Nan Bannann », tance-t-elle pour critiquer le comportement des politiciens traditionnels.


Mackenz Dorvilus