Originaire de Ouanaminthe, dans le nord-est du pays, Saintony Fanfan est marié et père d’une fillette. Licencié en Communication sociale à la Faculté des Sciences humaines (FASCH) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) et détenteur d’un Master en Population et Développement (MAPODE), il poursuit actuellement des études en vue de l'obtention d'un doctorat en Economie du développement. Il est poète, romancier, auteur de plusieurs ouvrages. Il est également organisateur d'activités pour les jeunes dans le souci de les encourager à s’engager dans leur communauté. M. Fanfan est professeur dans plusieurs universités du pays, parmi lesquelles l’UEH et l’Université Innovatrice d’Haïti (UNIH) dont il est le recteur. Enquet’Action l’a interviewé pour vous.

"Haïti, des maux et des remèdes", pourquoi ce titre?

«Je suis un citoyen haïtien qui vit le drame du pays avec un sentiment de révolte. Ma part de responsabilité est de pouvoir participer à offrir des alternatives à ce que nous sommes en train de vivre comme déchéance », avance-t-il. Dans cet ouvrage, M. Fanfan fait un diagnostic de la situation du pays et identifie un ensemble de problèmes aux fins de dégager des pistes de solutions voire des perspectives. «C’est de là que vient le titre, ‘’Haïti des maux et des remèdes’’». Selon lui, cet ouvrage constitue une compilation des textes écrits durant la période connue sous le nom de «pays lock» et du coronavirus. Il indique qu’on ne doit pas se contenter seulement de critiquer et d’identifier les problèmes mais chercher à les résoudre. «On ne voit pas les problèmes de façon pessimiste et fataliste. On les voit de manière scientifique. On sait qu’ils existent », dit-il, ajoutant que nous devons les appréhender d’une manière plus ou moins objective, de pouvoir les décrire, les expliquer afin que nous puissions les résoudre.

Quel est le contenu de cet ouvrage?

Celui-ci brosse une sorte de panorama de la situation d’Haïti afin justement de saisir les problèmes de façon systémique. L’auteur aborde les enjeux du pays sous différents angles et différents points de vue: politique, social, culturel, entre autres. Dans son premier texte qui a pour titre « Nous pouvons, nous devons le vouloir », il montre que le peuple haïtien est capable. « Ce n’est pas parce que nous sommes un peuple incapable. Le peuple haïtien est capable », confie l’écrivain, rappelant aux haïtiens qu’il reste à eux de mieux orienter le pays pour qu’il puisse sortir dans cette situation. 

Dans un autre texte intitulé «Que fait-on de tous les morts qui vivent encore? », M. Fanfan expose les problèmes de l’analphabétisme politique en Haïti, démontrant le poids et l’importance de la politique dans la vie d’un peuple. La population est victime d’une mauvaise formation politique, dénonce-t-il. «On est victime d’une perception très négative de la politique», dit-il.Pour lui, cette perception pousse les citoyens à repousser la politique car ils ont des discours négatifs, visualisant la politique de façon péjorative. L’auteur tente de les sensibiliser à ne pas banaliser, minimiser la politique comme outil qui permet de bien gérer, de bien administrer et bien gouverner la cité. «Je questionne aussi les fabricants de morts politiques parce qu’en Haïti nous avons trop de morts politiques», soutient-il, plaidant pour une autre compréhension de la politique. Quand il parle de fabricant de morts politiques, il fait allusion aux politiciens qui tuent la politique. Ces hommes-là n’arrivent pas à saisir l’importance de la politique dans le cadre de  fonctionnement d’une société.

À travers un autre texte intitulé « Haïti a un problème de monitoring », M. Fanfan questionne les maux sociaux. « Quand je dis des maux sociaux, je veux parler des institutions qui participent à la construction de l’individu », pense-t-il. À travers ce texte, il met l’accent sur l’individu par rapport à la société. Persiste, en effet, un problème avec les institutions qui sont responsables de l’intégration et la socialisation de l’être humain. « Je veux parler des agents de socialisation comme la famille, l’église, l’école, les médias, entre autres. Il y a un problème au niveau de la formation du peuple par ces institutions. Les gens ne sont pas formés pour Haïti. Ce sont ces institutions qui donnent ce mode de citoyen déraciné. Des citoyens qui vivent en Haïti avec leur esprit ailleurs ». Pour l’auteur, ce n’est pas au hasard qu’on a ce mode de pensée. «C’est la mauvaise formation du peuple qui le retire dans les affaires politiques et qui fait qu’on a des gens qui se montrent insensibles à la situation du pays». Il encourage les citoyens haïtiens à travailler ensemble pour construire le bien collectif.

La centralisation est aussi l’un des maux qui rongent le pays du fait que les habitants qui vivent dans le milieu rural sont dépourvus de tout ou presque. Certaine fois, ils sont obligés de laisser le milieu rural pour venir habiter dans les périphéries des villes, ce qui entraine la bidonvilisation et qui donne tout ce que nous vivons aujourd’hui. Dans un chapitre du livre intitulé «Haïti entre le monde rural et le monde urbain: jeu de détresse», l’auteur démontre les impacts de la centralisation sur le pays. «Quand on prend le monde rural et le monde urbain, on peut dire que le territoire haïtien est mal aménagé. L’extension des villes se fait d’une manière désordonnée. Il y a une mauvaise répartition de la population car presque tous les services sont concentrés à Port-au-Prince. La centralisation a beaucoup d'effets négatifs sur le pays ».     

La responsabilité de l’international

«Et si on fait comme si l’international n’existait pas», est un texte dans lequel M. Fanfan veut sensibiliser les haïtiens afin de leur porter à prendre leur destin en main et reconnaitre qu’on ne doit pas toujours demeurer dans l’assistanat. Ainsi, se refuse-t-il à dédouaner l’international dans ce jeu de marionnette avec nous, ajoutant que la communauté internationale a sa part de responsabilité dans la situation d’Haïti. À titre d’exemple, l’indépendance d’Haïti avait dérangé l’ordre mondial car cela a été véritablement une révolution anti-colonialiste et anti-esclavagiste. «Depuis lors, on ne voit pas Haïti de bon œil. C’est la raison pour laquelle on veut toujours isoler Haïti. Ce qui enfante tout ce qui se passe jusqu’à présent avec les organismes internationaux. On ne doit pas se convertir en un peuple de mendiants. Au lieu qu’il existe un international pour penser à notre rêve, notre développement et aussi nous prendre en mains, mieux vaut que nous planifions ce que nous possédons, ce dont nous sommes capables afin de pouvoir construire le pays», encourage-t-il.

Pour Saintony Fanfan, une autre Haïti est possible mais il reste à nous d’orienter le pays vers le progrès et le développement. On doit avoir une approche pragmatique, c’est-à-dire il faut ce qu’il appelle un sauvetage collectif. «On ne peut pas sortir de cette situation avec une baguette magique. Si l'on veut sortir de cette condition, il faut justement qu’il y ait des actions en synergie qui se posent par des personnes qui sont conscientes et animées des sentiments patriotiques», écrit-il. 

À travers ce livre, Saintony Fanfan fait la radiographie du pays et propose des remèdes, considérant Haïti comme un malade qui a beaucoup de fractures. « Avec une intelligence collective, on peut avoir un autre pays car Haïti n’est pas le premier pays qui a autant de problèmes », termine-t-il.