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« Ainsi parla la mer » : Un appel à la conscience pour la protection de l’environnement marin

« J’ai fait tout le Littoral pour réaliser ce travail cinématographique. La mer, c’est une grosse poubelle où les gens jettent tout ce qu’on peut imaginer. C’est effrayant ! Les poissons s’enfuient tout comme les oiseaux… », a déclaré le cinéaste et producteur Arnold Antonin dans une entrevue exclusive à Enquet’Action autour de son documentaire « Ainsi parla la mer » sorti en 2020 exposant d’une part la pollution et la surexploitation de la mer, faisant état d’autre part, des opportunités que la mer représente ou offre au pays.



En Haïti, la question de l’environnement se perd dans le labyrinthe d’un flot de sujets occupant l’actualité au quotidien. Du déboisement à l’érosion, de la pollution à l’inondation, déchetteries, glissements de terrain, sécheresses, tremblements de terre, exploitations dangereuses du sous-sol, changements climatiques, empoisonnement des eaux, contamination de vies… tout est plongé dans un imbroglio mortuaire asphyxiant l’existence d’un peuple à la dérive.


Face à l’indifférence de l’homme haïtien, Arnold Antonin a interrogé la mer. Plongée dans une profonde agonie, elle répond avec une tristesse déchirante. Anthropomorphe, la mer nous parle : « Je suis la mer. Mère de tous. Mère de toute vie. Je veux que nous racontions l’histoire de nos fusions et de nos déchirures. Je veux ici vous dire mon amour et ma colère ». C’est dans la voix de l’actrice et réalisatrice Gessica Généus que la mer raconte son histoire avec les Haïtiens.nes. Une relation entachée de vagues, de pleurs, d’incompréhensions et de remords. La mer montre ses richesses.


La mer entre mystère et désenchantement


«Ce film est une invitation à voyager et un cri d’alarme en vue d’inciter vers une prise de conscience du danger pouvant découler du [mauvais] traitement de la mer », affirme le cinéaste haïtien…


Les Haïtiens détruisent la mer, ses richesses et nient ses vertus. Dans le film, Arnold Antonin montre que non seulement les richesses de la mer ne sont pas exploitées en Haïti, mais également que les gens détruisent les mangroves et les coraux qui sont des ressources indispensables à l’écosystème. « Les gens coupent les mangroves soit pour faire du charbon soit pour construire leur maison alors que cette partie est le lieu où les poissons, les crabes et les oiseaux se réfugient. C’est là qu’ils se reproduisent », regrette Arnold Antonin.


En effet, les récifs et les coralliens, les herbiers et les mangroves servent tous d’abris aux petits poissons, aux crabes et à toutes formes de vies dans la mer, confirme Jean Weener, Prix Golman de l’environnement pour les îles et les États insulaires.Selon le réalisateur, Haïti détruit ses poissons et ses oiseaux à cause de la destruction des mangroves. « Les coraux et les mangroves nous protègent contre le tsunami, les cyclones et les tremblements de terre », prévient Arnold Antonin.


Mais, il n’en demeure pas moins vrai que ses ressources sont ignorées par l’État et que les gens les utilisent comme bon leur semble. « Les Haïtiens pensent que le corail est une grosse roche, un récif qui peut occasionner le naufrage d’un bateau.Ils le détruisent pour en faire des matériaux pour bâtir leurs maisons », regrette le producteur, connu tant à l'intérieur qu’à l’extérieur pour son engagement politique, culturel et social.


À en croire celui qui a plus de 60 films à son actif, la destruction de ces ressources indispensables à la mer représente un danger potentiel pour les Haïtiens.nes. « Si cela continue ainsi, non seulement qu’on ne va rien trouver dans la mer comme fruits, on risque de consommer des poissons malades et à un certain moment, on marchera rien que sur des ordures. L’on boira des eaux contaminées et l’on respirera un air pollué de déchets, d’excréments et de plastiques enflammés », prévient Arnold Antonin, joint au téléphone par Enquet’Action.


Relation tendue, richesses inexploitées…


« En Haïti, nous sommes des insulaires, mais de faux iliens. Nous avons un rapport contradictoire avec la mer. Nous avons des représentations sur la mer qui en font un lien de répulsion », critique Jean-Marie Théodat, géographe et professeur à l’université, intervenant dans le documentaire.


Techniciens, mambos, maîtres plongeurs, tous ceux qui interviennent dans le film critiquent le rapport malheureux et désastreux qu’Haïti développe avec la mer. Nous mangeons du poisson très rarement. Pourtant, la quantité est très insuffisante par rapport à la normale et c’est en majorité des harengs et des morues qui sont des poissons importés, poursuit le géographe, argumentant que les Haïtiens n’exploitent pas le potentiel d’efficience de la mer en matière de la pêche et la consommation des fruits de mer.


« On dit qu’un pays côtier est un pays riche. Sur dix départements, neuf sont baignés par la mer et la mer n’est pas seulement belle, elle est une source d’affaires », explique pour sa part Jean René Delhomme, un maitre plongeur essayant d’expliquer comment Haïti pourrait profiter des richesses de la mer si elle changeait son rapport avec l’environnement. Ce point de vue est aussi partagé par plusieurs.


« Il y a des hôtels dans la Caraïbe où pour une chambre avec vue sur jardin tu paies mille dollars contre trois mille dollars pour une chambre avec vue sur la mer », avance Pierre Bobby Chauvet, un entrepreneur touristique critiquant une relation à la fois stérile et maladroite que le pays conjugue avec la mer, une source de richesse naturellement disponible pour le bien-être et la croissance économique des Haïtiens négligée par l’État.


Notre relation avec la mer équivaut à notre rapport avec l’environnement. La mer parle encore : « Je vous parle. M’écoutez-vous ? Malgré les beautés et les richesses que je vous montre, vous m’ignorez… Sous mes yeux, les mornes sont dénudées. Les bonnes terres agricoles de vos montagnes reposent au fond de mes entrailles. La terre est mal cultivée, les terres sont ravagées par la pluie…», se plaint la mer dans le film.


Les problèmes de l’érosion sur le territoire en général sont liés en partie au type d’agriculture et pour beaucoup aux problèmes économiques. La disparition des denrées a fait que les gens exploitent la couverture végétale arborée des zones montagneuses pour faire des planches ou du charbon, décrit Eliassaint Magloire, agronome, intervenant dans le documentaire.


Des comportements climaticides à changer !


« Que pourrai-je faire pour vous quand de vos montagnes il ne reste que des carcasses ? Vous creusez le ventre de mes plages. Je vois mon sable exploité pour la construction de vos maisons. Tant que vous me faites mal, tant que vous vous mettez en danger », reprends la mer avec peine. « Vague après vague, jour après jour, vos constructions côtières anarchiques, des tonnes d’immondices, de plastiques, d’huile usagée, de moteur m’envahissent et vous fragilisent », poursuit la mer dans sa colère.


De son côté, l’entrepreneur rejoint le personnage et soutient son discours : « La mer n’est pas un dépotoir à immondices. Nous avons pris l’habitude de faire des ravines des lieux de déchargement. Quand il pleut, nous ramassons nos déchets, les jetons dans la rue ou en comblant les ravines, ils aboutissent dans la mer », a dénoncé Pierre Bobby Chauvet.


Tout le long de l’entretien téléphonique accordé à la rédaction de Enquet’Action, Arnold Antonin qui a été honoré à de nombreuses reprises pour l’ensemble de ses œuvres, exprime ses préoccupations face à cette regrettable situation qui devient de plus en plus catastrophique. Il plaide pour une éducation à l’environnement en vue d’impliquer tout le monde à la cause.


Les plastiques tuent les poissons, les hommes détruisent les mangroves et Haïti chemine dans la déchéance. Une politique publique de l’environnement ? Des mesures de protection de la biodiversité ? La solution n’est sans doute pas pour demain. Puisque deux ans après la réalisation de ce film sur la beauté, la richesse et les vertus de la mer — projet qui a été récompensé au festival international des droits humains en Bolivie la même année de sa parution (2020) — la mairie de Port-au-Prince continuerait de décharger les déchets collectés dans la mer.


Jean Robert Bazile


Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.

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