Journaliste de formation et enseignant de profession, Brunel Grégoire dirige le centre des réfugiés.es de Carrefour-Feuilles qui se trouve dans les locaux provisoires du Lycée Marie-Jeanne. En absence de l’État, l’ancien pensionnaire du Centre de Formation pour l’École Fondamentale (CFEF) représente l’un des rares points positifs pour les 5 mille 700 déplacés.es ayant investi les lieux.
CP: Page Facebook de Brunel Grégoire
Reportage
Les chaises et les bancs sont empilés sur la cour, plus loin, les salles de classe sont transformées en chambres. Dans chacune d’elles, son lot de valises, ses draps étalés sur le sol et le peu d’effets personnels que certaines victimes ont pu sauver. S’ils sont plusieurs à rester couchés : faute d’activités, d’autres sont assis devant leur petit commerce improvisé. Nous sommes dans les locaux provisoires du Lycée Marie Jeanne, à l’avenue Jean-Paul II, où des habitants.es de Carrefour-Feuilles (sud-est de Port-au-Prince), ayant fui les attaques armées du gang de Grand-Ravine, ont trouvé refuge.
Midi et la chaleur qui va avec s’approche à grands pas. Les 5 mille 700 réfugiés.es de ce camp de fortune sont partis.es pour une autre journée loin de leurs maisons et certains membres de leurs familles tués par la bande à Ti Lapli, l’un des chefs de gang de Martissant. Ils/elles s’adaptent à leur nouvelle vie sous la coordination de Brunel Grégoire. Le sentiment du devoir à propulser ce jeune professionnel à la tête du comité qui gère ce centre, créé le 13 août dernier.
« Lorsque nous sommes arrivés, en tant que professeur, je me suis dit qu’il fallait protéger l’espace qui abrite une institution publique puisqu’après, les élèves auront besoin de l’école. On s’est entendu avec d’autres personnes et je suis devenu celui qui coordonne tout ce qui se fait dans le centre », nous explique-t-il, sourire aux lèvres.
Le sentiment du devoir à propulser Brunel à la tête du comité qui gère ce centre, créé le 13 août dernier.
En plus de sa femme et de son enfant d’un an et 9 mois, Brunel Grégoire est responsable de 1 800 enfants/adolescents.es et de 3 mille 900 jeunes et adultes dont 120 à 150 femmes enceintes vivants.es dans le centre. Dans cette lourde tâche, il se fait aider par près d’une quarantaine d’autres personnes. « Nous avons un comité formé de cinq personnes. L’espace comprend 32 salles de classe représentées par casier. Chaque casier à un chef qui est responsable des distributions », détaille le très respecté et écouté des lieux.
Des caractéristiques, dit-il, bénéficier pour le travail bien fait. Sous sa coordination, plusieurs instances locales et internationales et la mairie de Port-au-Prince ont pu intervenir dans le centre, l’un des plus grands de la capitale, même si ça n’a pas changé les conditions inhumaines dans lesquelles se trouvent les réfugiés.es.
Ici, la possibilité d’avoir un minimum d’intimité se fait rare. Un bloc sanitaire digne du nom n’est pas à l’ordre du jour. Les déplacés redoutent la pluie puisque les 32 salles les logeant sont faites de bois et de tôle et ne sont pas entièrement fermées. En absence d’une présence étatique fiable, les gens de cette nouvelle communauté se confient davantage à Brunel Grégoire. « Cette expérience m’a fait réaliser que les Haïtiens n’exigent pas beaucoup d’un dirigeant », souligne le déplacé qui fait également office de responsable de camp.
Des refugié.es du camp du Lycée Marie-Jeanne. CP: Saphira Orcel / PIP
Un énième déplacement à l’actif
Si Brunel Grégoire est à sa première expérience dans un camp de réfugiés.es de guerre, c’est pourtant la troisième fois qu’il a dû quitter sa maison à cause d’une bande armée. Celui qui est né à Martissant (entrée sud de Port-au-Prince), grandi entre Martissant et Carrefour-Feuilles, avait abandonné sa demeure en 2017. « C’était lorsque Anel Joseph [chef du gang de Village de Dieu à l’époque] avait pris d’assaut cité de l’Éternel (quartier de Martissant). Je me suis dit que je n’étais pas prêt pour ce qui allait venir. J’ai laissé la zone pour aller à Carrefour-Feuilles », se rappelle-t-il.
Le journaliste de formation était loin d’imaginer qu’il allait faire le même exercice deux ans plus tard, soit en 2019. Cette fois, avec Ti Je, un chef de gang qui dirigeait Savanne Pistache, l’un des quartiers de Carrefour-Feuilles. « J’ai encore couru après les événements qu’il a déclenchés », nous raconte-il.
Et en août dernier, Brunel a récidivé. Cette fois, c'est la pire des manières. « Je n’avais aucun moyen de résister. Pour éviter le pire, je me suis déplacé avec ma femme et mon enfant d’un an 9 mois pour venir ici parmi ces nombreuses personnes. J’ai laissé ma maison en flammes et je n’ai rien pu prendre », souligne le professeur tout en essayant de cacher sa tristesse. Il avoue avoir pensé à quitter le camp, mais faute de moyens nécessaires, son séjour se prolonge.
La maison de Brunel est partie en fumée lors des dernières attaques du gang de Grand-Ravine.
Des refugiées du camp du Lycée Marie-Jeanne. CP: Saphira Orcel / PIP
Un professionnel maltraité par l’État haïtien
Du haut de ses 30 ans, Brunel Grégoire travaille dans l’enseignement depuis bientôt 8 ans. Il est diplômé du Centre de Formation pour l’École Fondamentale (CFEF), une institution étatique. Il enseigne l’anglais au Lycée du Cent-Cinquantenaire (appelé Lycée de jeunes filles) sans avoir reçu le moindre centime. « J’ai eu ma lettre de nomination depuis juin 2021. J’ai fait différentes interventions dans les médias et auprès des responsables du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP). Ça n’a rien changé. J’attends encore. On dit que l’État n’a jamais de dette. On dirait que c’est différent dans mon cas », analyse-t-il en lâchant quand même un sourire.
À côté de son salaire comme professeur nommé dans l’enseignement public, l’ancien cefefien attend aussi que l’État haïtien respecte ses autres engagements envers lui. « J’ai participé à des observations pour le ministère. J’ai été là lors du déroulement des examens officiels de 9e année fondamentale. J’ai participé à des activités de rattrapage. J’ai été correcteur. J’attends tout cet argent étant donné que je suis dans le besoin », soutient Brunel.
Brunel n'a reçu le moindre salaire du ministère de l'éducation haïtien depuis sa nomination comme professeur en juin 2021.
En attente de son salaire et de la reprise des activités au Lycée du Cent-Cinquantenaire, lui aussi transformé en camp de fortune, le professeur-réfugié a démarré la nouvelle année scolaire dans une institution privée à Delmas pour essayer de joindre les deux bouts. « D’habitude, mon mental n’est pas facilement affecté. J’avance vers l’avant puisque ce qui a été fait est le passé. Nul ne sera en pleine forme lorsqu’il se verra sans abri tout en oubliant le chemin qui mène à sa maison. Mais je suis fort », répond Brunel à la question dans quel état d’esprit a-t-il repris le travail tout en vivant dans un centre.
S’il est vrai que l’intervention du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle que réclame Brunel Grégoire pour son travail comme professeur lui sera très bénéfique, la présence de cette même entité au camp du Lycée Marie Jeanne risque de faire mal aux 5 mille 700 déplacé.es de Carrefour-Feuilles qui y sont réfugié.es. Ils/elles risquent d'être chassé.es des lieux pour permettre aux lycéennes de reprendre le chemin de l’école, les laissant, au passage, aux abois.
Jeff Mackenley GARCON.
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.
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