Haïti a toujours été considéré comme un pays essentiellement agricole. Cette conception n’est pas seulement consacrée dans la Constitution de 1987, elle a été longtemps enseignée dans les écoles haïtiennes. Et là, le département de la Grand’Anse est connu pour son rôle de grenier en matière de production agricole, notamment l’arbre véritable, l’une des denrées constituant son identité. Mais tout a changé depuis quelques années, car la faim terrasse la Grand’Anse.
« Il fournissait ses denrées aux autres départements du pays, notamment à travers le transport maritime : malanga, igname, banane, maïs, pois, grenadine (…) », déclare Jean Widal Fanor, un agronome en activité dans le département depuis 1998. La Grand’Anse est, pour l’instant, dépourvue de cette capacité, dit-il. La population de la Grand’Anse patauge dans une rageuse misère après certaines catastrophes naturelles et surtout la dernière longue sécheresse qui a laissé derrière elle des dégâts considérables.
Selon l’agronome Fanor, le problème de l’agriculture dans le département de Grand’Anse est avant tout un problème d’encadrement. Celui-ci se traduit par un manque d’assistance du côté de l’État à la production et la conservation des denrées agricoles du département. L’arbre véritable est, selon lui, l’un des produits importants qui souffrent de ce manque d’assistance technique et financière. « Lorsqu’on parle d’insécurité alimentaire, les politiciens voient uniquement le riz. Mais il n’y a pas que ça. Si l’on veut arriver à une certaine sécurité alimentaire, il faut travailler sur l’arbre véritable. Offrir la possibilité à certaines organisations de transformer ce produit, le produit et le valoriser », dit-il.
Du même souffle, l’agronome dénonce la disparition lente d’un ensemble d’espèces sous le silence des autorités. Ce problème combine, pour lui, la dégradation de l’environnement et la course de certaines maladies qui détruisent les plantules. « Le cocotier, la mazombelle, l’oranger, le chadèque, disparaissent, la terre ne peut plus produire de l’igname. Cela ne préoccupe personne », dénonce-t-il, exposant le vide créé par l’absence de recherche agricole. « Il y a beaucoup de vermines et des problèmes de variétés. On est dans ce pays où la recherche ne veut rien dire. Il n’existe pas une politique en matière de recherche agricole ».
Pour Stephenson Mercier, jeune étudiant en agronomie, les problèmes liés à l’agriculture de la Grand’Anse tiennent aussi du fait que les techniques de plantation sont archaïques. Il n’existe pas d’assistance technique qui encadre les efforts sur les planteurs. « Quand dans les sections rurales les gens répètent les mêmes pratiques, à un moment ça ne donne plus de résultat. Les éléments dont les plantes ont besoin pour assurer leur croissance n’existent plus et dès lors les insectes commencent par faire leur apparition », explique le natif de Lory, commune de Marfranc.
Selon l’aspirant agronome, il y a des cas où les jardins se trouvent au bord d’un point d’eau, mais le cultivateur refuse d’arroser ses plantations de peur que celles-ci soient brûlées. « C’est un mythe. C’est parce qu’il n’a pas l’accompagnement d’un professionnel », renchérit-il tout en pointant du doigt les effets de la surexploitation du sol par les cultivateurs de la Grand’Anse. Selon lui, l’absence de politique agricole dans le pays empêche les planteurs de bénéficier d’un Crédit Agricole pour répondre aux exigences des révoltés.
Les catastrophes naturelles
Fénis Alexandre a une formation en science du développement. Selon lui, son département, l’un des plus fertiles du pays qui pouvait nourrir presque tout le pays, souffre du manque d’encadrement. D’après le jeune professionnel, les catastrophes naturelles ont joué un rôle crucial dans l’insécurité alimentaire qui frappe le département. « La première raison c’est que le département a été ravagé par plusieurs cyclones, dont Mathieu, le dernier. Après vient le tremblement de terre du 14 août, la sécheresse », pense-t-il.
De la même veine, l’agronome Jean Vidal Fanor souligne que le dernier cyclone qui a frappé le département a détruit à 90 % les cocotiers en mettant un accent particulier sur la sécheresse. « Après un cyclone, même si ce n’est pas grave, on voit une mobilisation de ressources tout de suite. Mais, avec une sécheresse qui dure 6 moins, ils ne donnent aucune réponse », critique l’agronome, posant qu’une sécheresse d’une telle ampleur laisse beaucoup plus de dégâts que certains cyclones. Selon lui, les autorités qui devaient intervenir attendent la tombée de la pluie pour ensuite laisser les populations dans les mêmes situations.
À en croire Jean Widal Fanor, il devait y avoir une évaluation globale de la sécheresse. Pour lui, quelques gouttes de pluie ne peuvent pas résoudre les problèmes. Il plaide pour une politique de captage d’eau en vue de desservir les populations en périodes de sécheresse. « Avec la sécheresse, les planteurs perdent beaucoup de récoltes », souligne-t-il.
L’abandon des plantations
Maître Fénis Alexandre, Stephenson Mercier et Jean Widal Fanor s’accordent à dire que l’un des problèmes qui aggravent la situation c’est que les gens abandonnent l’agriculture en vue de s’adonner à d’autres activités. Certains laissent les sections communales pour aller dans les grandes villes, d’autres laissent le département pour la capitale.
Stephenson Mercier rapporte que les jeunes déclarent que l’agriculture devient une perte de temps. Après une mauvaise récolte, en plus du taxi-moto, certains laissent la plantation et se jettent dans la chasse aux anguilles. « Beaucoup sont morts dans la pêche de petites anguilles », regrette le jeune Mercier, soulignant la situation malheureuse de ceux qui laissent la culture agricole pour aller travailler comme main-d’œuvre à Port-au-Prince. Il croit que ces jeunes qui laissent le département dans de pareilles circonstances sont parfois enrôlés dans les gangs à Port-au-Prince.
Pour l’agronome Fanor, cet exode rural engagé par les populations à la recherche d’un mieux-être crée un autre problème. « A Jérémie, Dame Marie, Anse d’Hainault, on assiste à une urbanisation anarchique. Les populations augmentent sans cesse puisque les gens ne peuvent pas vivre en milieu rural », constate l’agronome.
Tout le monde aspire à une meilleure condition de vie, analyse-t-il, exposant que ces gens qui, dans les zones rurales n’ont pas de revenus, ne peuvent pas bâtir leurs projets sur les récoltes, n’ont pas d’autres choix. Le spécialiste de l’agriculture explique que dans ces circonstances, la ville de Jérémie est en train d’être ceinturée par un phénomène de bidonvilisation.
Fénis Alexandre, de son côté, croit que cet exode rural est lié à un désintéressement à la question agricole. « C’est à cause des problèmes confrontés, devant lesquels les planteurs sont impuissants, qu’ils abandonnent la terre », explique-t-il. Le professeur reconnaît que le déplacement en masse des populations est aussi dû à l’insécurité qui gangrène le pays et se propage dans les zones de province.
M. Alexandre soutient que l’on n’a rien fait pour le sol de la Grand'Anse bien avant la situation sécuritaire. « Après deux siècles d’indépendance, on a une terre considérée comme fertile. Mais l’on n’en a rien fait. La terre, abîmée, ne donne plus de rendements, les planteurs ne peuvent composer d’engrais naturels pour sauver ses plantations alors que les agronomes restent dans les grandes villes », constate-t-il.
Pour Fenis Alexandre, c’est entre autres ces raisons qui expliquent cette baisse considérable de l’agriculture dans la Grand’Anse.
Jean Robert Bazile
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.
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