En novembre 2020, la Covid-19 était considérée comme de l’histoire ancienne par la population haïtienne avant que les autorités sanitaires n’annoncent l’augmentation des nouveaux cas. À date (janvier 2021), le bilan officiel fait état de plus de 10 mille 500 cas confirmés pour 238 décès. Cependant, la population vit encore avec de plus en plus d’insouciance et avec comme seul espoir, le miracle des remèdes naturels à base de feuilles.
Nous sommes au début de l’année 2020, plus précisément au mois de février, plusieurs pays parlent d’une nouvelle maladie qui cause des dégâts considérables. Certains d’entre eux envisageaient même déjà de fermer leurs frontières, ports et aéroports. Nous autres en Haïti, pour beaucoup de ceux qui avaient accès à cette information, ce ne sont que des rumeurs. Avant la déclaration de l’état d’urgence sur tout le territoire le 19 mars 2020, les autorités sanitaires du pays ne mesuraient pas encore l’ampleur de cette maladie qui, finalement, allait devenir une pandémie.
« Moi personnellement, je faisais partie de ces personnes qui combattaient les informations concernant la maladie. C’était des messages étatiques qui faisaient croire à la population que la pandémie n’était qu’une simple grippe et qu’elle ne devait trop s’inquiéter », a fait savoir l’épidémiologiste, Berthony Jean François qui, au début de la maladie, a rédigé une pétition sur les réseaux sociaux pour inciter l’État haïtien à faire preuve de plus de responsabilités face à cet imminent virus qui — à ce moment-là — avait déjà infecté près de 60 mille personnes en Chine, l’épicentre de la maladie, et nous ne sommes qu’en février.
Selon Jean Berthony François, qui a déjà travaillé sur plusieurs épidémies, notamment le choléra en 2010, l’État haïtien a raté une belle occasion de rattraper les erreurs commises avec les épidémies précédentes. C’est d’ailleurs, selon lui, ce qui explique la méfiance de la population et son déni vis-à-vis des mesures préventives prises très tardivement par le gouvernement qui avait la possibilité de prendre des décisions plus drastiques contre la propagation de la maladie dans le pays bien avant le 19 mars 2020.
La médecine des feuilles comme bouc émissaire
Depuis l’annonce par le gouvernement des premiers cas de contamination en mars 2020, une bonne partie de la population haïtienne s’est penchée vers la médecine traditionnelle. Plusieurs des personnes interrogées lors de cette enquête avouent n’avoir jamais réalisé de test de Covid-19, mais pensent avoir été atteintes par rapport aux symptômes ressentis. Les raisons expliquant le fait que certaines d’entre elles n’ont jamais essayé de contacter les autorités sanitaires sont à la fois multiples et complexes.
On se rappelle dans la période allant de mai à juillet 2020, nombreux étaient les gens à faire l’éloge de la médecine traditionnelle et celle des feuilles sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. Ils étaient nombreux à se vanter d’être guéris non pas de la Covid-19, malgré le ravage de celle-ci, mais d’une petite fièvre apparemment et qui était devenue une épidémie. Cette petite fièvre présentait pourtant les mêmes symptômes que la Covid-19.
« Je ne me suis pas rendue à l’un des centres de prise en charge, non pas à cause des rumeurs qui faisaient croire qu’on allait me piquer pour me transmettre la maladie, mais tout simplement parce que mon cas n’était pas trop grave. J’ai cru qu’il fallait plutôt laisser la place aux personnes dont la situation était plus grave », explique Anita Louis, une étudiante de la Faculté des Sciences humaines qui a passé plus d’une semaine avec les symptômes de la Covid-19.
Anita Louis fait partie des personnes ayant recours à la consommation des remèdes à base de feuilles. « De plus, dans mon entourage, aucun des gens qui ont eu les symptômes ne s’est rendu à l’hôpital. Ils ont tous été guéris en restant chez eux. Même ceux qui étaient plus graves sont restés chez eux en prenant simplement du thé. Donc, ce n’est pas moi qui n’avais qu’une petite migraine qui irait à l’hôpital », continue-t-elle en affirmant avoir pris plusieurs mélanges de remèdes naturels.
Si la médecine traditionnelle a été utilisée par les uns comme bouc émissaire en raison de l’absence des dispositions sanitaires nécessaires, elle n’est pas utilisée par les autres au même dessein. La croyance en son efficacité ne faisait pas l’unanimité au sein de la population. Car certaines personnes ont eu recours à elle par influence, par peur et d’autres dans le but de se soigner.
« Oui nous avons pris du thé. Mais ce n’est pas de la même manière que le font les autres gens. Quand nous avons annoncé la nouvelle à nos familles respectives, elles nous ont forcés à consommer des remèdes à base de feuilles. On nous a poussés à acheter un paquet de remèdes comme du gingembre, du miel mélangé avec de l’eucalyptus », argüe Gérald Pierre, psychologue. Il a 30 ans, lui et sa copine ont tous deux été testés positifs à la Covid-19.
Durant toute la période connue comme pic de l’épidémie (mai-juin) dans le pays, à cause de l’indisponibilité des tests, plusieurs personnes ont dû rester chez elles en consommant du thé et d’autres mélanges dans le plus grand silence. Car plusieurs personnes suspectées d’être infectées à la Covid-19 dans plusieurs endroits à travers le pays ont été persécutées par la population. C’est le cas du pasteur Burel Fontilus.
« On a attaqué ma maison à Carrefour. La Mairie de Carrefour a demandé l’aide de la population pour me radier de la zone. Car on prétendait que je contaminais les gens volontairement. La population de Waney 87 a failli nous lyncher, moi, ma femme et mes enfants. Cet incident a eu de graves effets sur ma famille. J’ai été considéré comme une mauvaise personne par ma famille », lâche tristement Burel Fontilus joint par téléphone dans le cadre de cette enquête.
Les avancées de la médecine traditionnelle
Patrick Jacques, qui dirige la direction de la médecine traditionnelle au sein du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), admet que la médecine traditionnelle a joué un rôle crucial dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19 dans le pays. Car il a lui-même répertorié plus de deux cents (200) personnes qui auraient été guéries après l’utilisation des remèdes à base de feuilles.
Alors qu’une grande majorité de la population, dès l’annonce de la maladie sur le territoire, a commencé à consommer les remèdes-feuilles, le MSPP n’a admis officiellement l’utilisation de certaines plantes que moyennant le respect d’un certain dosage qu’au mois de juin 2020, soient deux mois après la mise en place de « la Commission multisectorielle pour la gestion de la pandémie COVID-19 (CMGP/Covid-19) » par le gouvernement haïtien. Toutefois, plusieurs mois après cette décision, aucun suivi du MSPP n’a été fait avec la direction de la Médecine traditionnelle, a indiqué Patrick Jacques lors d’une interview téléphonique.
Malgré l’absence d’une bonne politique de gestion de la pandémie, les responsables de la direction de la médecine traditionnelle au MSPP ne chôment pas. Entre-temps, des travaux de recherche et de préparation de remèdes sont mis sur pied. Et plusieurs efforts sont déployés afin d’améliorer la production des médicaments à base des feuilles comme l’armoise, l’eucalyptus, la cerise, le citron, le gingembre faisant partie des plantes jugées utilisables par la commission d’inventaire et d’évaluation des remèdes traditionnels contre le SARS-CoV-2, instituée par l’Université d’État d’Haïti. Après la délibération du jury de la commission, 72 recettes traditionnelles sont mises au point en vue de lutter contre la Covid-19.
* Cette enquête est réalisée dans le cadre d’une série de mini-enquêtes sur la propagation et la gestion de la pandémie de Covid-19 en Haïti soutenue par l’association des journalistes haïtiens (AJH) en partenariat avec l’UNICEF et l’UNESCO.
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