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Haïti : Disparition de variétés de « Pitimi » locales vieilles de plusieurs siècles

La décennie écoulée a été catastrophique pour l’agriculture haïtienne. Des bouleversements ont emporté une bonne partie du cheptel et provoqué des pertes importantes de cultures. Mais aussi et surtout, elle a vu la disparition quasi totale d’au moins deux variétés de millets traditionnels du pays. Cela veut dire que deux variétés de pitimi (sorgho) que vous et vos parents sans oublier vos grands-parents aviez l’habitude de manger ont disparu dans les plantations et assiettes.


Pour prendre le pouls de la catastrophe, Enquet'Action a visité le Plateau central situé dans le département du Centre. Avec 31 340 ha, il constitue un grenier et la région du pays ayant le plus de surfaces plantées en sorgho. Il a vécu un épisode douloureux de ravage des milliers de plantations entre 2015 et 2016 au cours d’une période de longue sécheresse. Des années après, la plaie reste béante.

Reportage



Aux côtés du riz et du maïs, le sorgho fait partie des principales cultures vivrières d’Haïti. Ce pays de la Caraïbe est en proie à une insécurité alimentaire grandissante au même rythme que la disparition des espèces et cultures importantes. Retour sur ce que représentait véritablement le sorgho (sorghum vulgare) traditionnel/local pour Haïti — dont la nouvelle variété dénommée « Pa Pè Pichon » est incapable de se substituer même dans ses rêves idylliques.


« Pitimi ponpon [wouj/blan] », « Pitimi Alizèn », « Pitimi popilè », « Pitimi gran sezon », « Pitimi novanm »… Diversement et multiplement dénommé, c’est au moins deux variétés de petit mil qui ont disparu — certains parlent de trois — peut-être à jamais en Haïti. Celles dont cultivait tout le monde — le récoltant chaque année entre décembre et janvier.


Le pitimi créole… « La variété avec laquelle j’ai été élevé. Chez mon père, par exemple, on mangeait du petit mil de janvier à mai. On en mangeait tous les jours. C’est désormais fini. Trois variétés de petit mil disparaissent, se désole Chavannes Jean Baptiste, défenseur des droits des paysans et nostalgiques du bon vieux temps qu’il ne verrait peut-être jamais. Peut-être, on pourrait trouver des petites poches conservées par certains paysans… ».


Le leader du Mouvement Paysans Papaye (MPP) n’est pas le seul nostalgique du bon vieux où le petit mil créole faisait le bonheur des palais de milliers de paysans et de citadins de la région de Port-au-Prince. Cet ancien député requérant l’anonymat l’est davantage pour avoir été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme sur la disparition du petit mil dans sa région en 2015.


« Juillet — août, c’est la fin de la saison des mangues qui fait place à une période de disette. Mais quand on avait des réserves de millet dans notre “'Galata” — on était apte à y faire face. Men kounya pa gen anko. Le millet a disparu. La disparition du petit mil a d’énormes conséquences sur la vie des gens », se plaint-il.


Genèse du déclin


Dans diverses régions du pays, du riz de mauvaise qualité venant de la République dominicaine tend à remplacer la variété du petit mil qui a disparu aux côtés de la nouvelle variété de petit mil en circulation. Les variétés qui ont disparu étaient très costaud. « Ils sont résistants. Si vous prenez une population de millet qui a 100-200 ans, qui s’est adapté à toutes les conditions. Donc, on ne peut prétendre le remplacer. Je ne crois pas qu’il existe d’autres millets pouvant le remplacer », a rétorqué Joanas Gué, ministre de l’Agriculture entre 2010 et 2011.


Il a plaidé pour la mise sur pied d’une banque génétique (banque de germoplastes pour toutes les variétés) capable de rassembler les gènes des espèces qui disparaissent. Ce qui permettrait d’en concevoir d’autres qui leur sont semblables à 100 % partant des bases génétiques. Le sorgho — qui devient local — a été introduit en Haïti au cours de la période coloniale avec la traite des noirs dans les années 1400. Les esclaves d’Afrique lorsqu’ils quittent leurs territoires agrippent avec eux des aliments auxquels ils étaient habitués dont le sorgho originaire de la zone saharienne (zone de l’Afrique de l’Ouest), principalement du Dahomey appelé aujourd’hui Bénin.


En 2015, de vastes plantations de millet (petit mil) sont détruites dans diverses communes du Plateau central dans le département du Centre d’Haïti dont à Hinche et Boucan carré. Les régions sévèrement affectées sont Thomassique, Petit Goâve, Aquin, Thomonde et Maissade. Des milliers de paysans n’ont même pas pu sauver une grappe de millet. Ce fléau a tout saccagé. Si le déclin a commencé en 2015, il s’est poursuivi en 2016.


En janvier 2016, le ministère de l’Agriculture a évalué les pertes à 2 milliards de gourdes. Implicitement un rapport du ministère de l’Agriculture en a fait état. Car, la production de sorgho qui était de 44 151 TM en 2014 a chuté en 2016 à 18 589, révèle un rapport publié sur la question. Soit une diminution de plus de moitié.


Le pitimi créole est souvent considéré comme une variété « local photopériodique ». La variété locale peut être cultivée sans engrais, accusant un rendement de 0,8 tonne/ha, selon des documents officiels. Plantée dans tout le pays, elle est cultivée dans les zones recevant entre 400 et 800 mm de pluie/an. Le millet est souvent cultivé en association avec le pois Congo, le maïs et le melon d’eau douce.


Avant la catastrophe, généralement la production annuelle était de 141 000 tonnes/an. Le caractère irremplaçable de ce pitimi s’explique d’abord par le fait que l’une des variétés disparues se cultive au mois de juin pour des récoltes en bonne et due forme en novembre. Le pourquoi, certains l’appelaient pitimi novanm. Une deuxième variété appelée pitimi ponpon récoltée au mois de janvier et février.


Celle récoltée au mois de janvier-février est conservée et quand arrive la période de plantation en avril-mai-juin-juillet exactement avant que la récolte commence en août, il sert de mets capable de nourrir les gens au cours de la période de soudure. « C’est pourquoi j’ai toujours dit, le petit mil dans le Plateau central joue un rôle socio-économique. Très malheureusement, vous avez perdu cette variété », regrette Joanas Gué.


« Les efforts effectués pour produire une variété à cycle court parce qu’il faut l’adapter aux conditions agroécologiques — à ce moment — n’ont pas la même capacité de conservation pendant une période aussi longue que le pitimi ponpon ». Ce qui fait que ces variétés de petit mil disparues ont joué un rôle capital dans la lutte contre l’insécurité alimentaire qui s’aggrave en Haïti.


À chaque complication de la crise sociopolitique et économique, l’insécurité alimentaire prend de l’ampleur. Manger à sa faim devient un luxe en Haïti pour l’écrasante majorité de la population. Les chiffres sont de plus en plus alarmants. La quantité d’Haïtiens.nes en insécurité alimentaire aiguë est passée de 2,3 millions en 2018 à 4,3 millions en 2022. Soit en 4 ans, pas moins de 2 millions de nos compatriotes sont tombés.es en insécurité alimentaire. Entre mars et juin 2022, le nombre de personnes connaissant des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë devrait augmenter pour atteindre environ 4,6 millions de personnes, prévoit la Coordination nationale de la Sécurité alimentaire (CNSA) dans son dernier rapport.


Les causes de nos malheurs


Des années après, Enquet'Action est réparti sur les traces de la catastrophe pour savoir ce qui s’était vraiment arrivé. Ce, considérant l’importance de petit mil qui a disparu — des espèces qui ont traversé le temps et ont existé depuis plusieurs siècles.


Mis en cause, des maladies les infectant. Au Plateau central, il y a eu le pitimi créole, une variété locale. Étant donné que la production de petit mil était en baisse, il y a des gens qui ont introduit de nouvelles variétés dans le Plateau central. Ces variétés de petit mil de trois mois — plantés — développeraient une série d’insectes. Quand les grappes du petit mil créole commencent à former, c’est alors que ces insectes les envahissent. Ils sucent la sève et la matière qui allait former le grain de petit mil — ils les sucent, selon ce qu’on nous raconte diverses sources au Plateau central.


Les grappes de petit mil deviennent toutes noires — accompagnées d’une sauce noire qui coule. C’est une espèce de Pichon qui le suce, détruisant le petit mil dans le Plateau central où il y avait au moins trois variétés de petit mil.


Des attaques malveillantes en première ligne des explications avancées pour expliquer le phénomène. S’ensuivent des allégations et rumeurs. Des rumeurs circulant jusqu’à présent dans diverses communautés du Plateau central font état d’une histoire pour le moins hilarante pour expliquer la destruction.


Sur place, plusieurs paysans et paysannes accusent des agents de la mission onusienne (en Haïti de 2004 à 2017) qui mal cuit le petit mil — auraient souffert par la suite d’indigestion. Ainsi, pour riposter, ils auraient répandu une poudre sur toute la région détruisant systématiquement toutes les plantations de millet. Dans les communautés rurales, à tout ce qui arrive, on cherche des boucs émissaires. C’est une des traditions qui persistent au-delà du temps.


D’autres informations non vérifiées accusent les dominicains qui seraient à la base de ces destructions en vue de favoriser la rentrée massive du petit mil venant de la République voisine. En Haïti, il est coutume de toujours trouver un bouc émissaire à quelque chose qui s’est produit. L’explication peut être mystique ou accusatoire d’un ennemi qui ne dit pas son nom — mais aussi sans aucune base logique encore moins scientifique et technique.


Le pourquoi un proverbe comme « Lafimen pa leve san dife », est très utilisé. Une façon de se dire que tout a une cause.


Selon des experts haïtiens, le petit mil est souvent la cible des attaques d’une multiplicité de parasites ou ravageuses. Au cours de l’histoire, des dommages ont été provoqués par des Aleurodes, la mouche des pousses, la cécidomyie, les foreurs de tiges, les cochenilles farineuses, champignons et pucerons jaunes. Les attaques de ces derniers sont catastrophiques.


Fin 2015, une épidémie de puceron jaune appelée aussi Melanaphis sacchari a sévèrement saccagé tout le pays, notamment le Sud, les Nippes, l’Ouest, et le Centre — décimant totalement la production du sorgho en Haïti. « Les pucerons inoculant des toxines qui tuent les plantules et transmettent des virus, prédisposent la culture aux maladies comme la pourriture charbonneuse et sécrètent un miellat [abondant] sur lequel se développent des fumagines. Cela provoque un ralentissement de la croissance, dessèche les feuilles, et diminue les rendements », écrit l’agronome Michel William.


Sa couleur est très variable selon l’hôte et les conditions. Les colonies se trouvent, contrairement à celles d’autres pucerons, de préférence sur les feuilles âgées, à l’abri du soleil. On trouve également ce puceron sur les jeunes feuilles et dans les épillets de sorgho.


Le changement climatique au banc des accusés…


Nous étions partis en quête d’explications scientifiques pour mieux comprendre le phénomène qui a persisté pendant au moins une décennie.


« Depuis 10-12 ans, nous observons ce gros problème qui se passe, précisément, au Plateau central, où nous avons remarqué la diminution totale de la production du petit mil qui va causer la perte de trois variétés qu’on cultivait. Tout cela constitue la conséquence du changement climatique qui favorise le développement des insectes et des maladies. Et qui va, détruire toutes les variétés de millet », explique l’ex-ministre de l’Agriculture Joanas Gué.


À la fin de l’année 2016, le ministère de l’Agriculture a annoncé que c’est tout le pays qui était atteint et que les 123 mille tonnes de récolte traditionnelle ont été détruites par le puceron. Suite à la réalisation de plusieurs missions techniques de terrain, le ministère de l’Agriculture a informé que les dommages ont été provoqués principalement par les : pucerons jaunes (Melanaphis sacchari), les cochenilles farineuses (Pseudococcus sp), l’Aleurode (Aleurodes vaporariorium) et des champignons dus à l’alimentation des insectes et aux changements climatiques.


Au départ, le puceron a été remarqué sur la canne à sucre, ce pour quoi certains l’appellent le puceron de la canne à sucre. Le changement climatique a causé sa transition de la canne à sucre au petit mil. Très vite, le parasite s’est propagé dans tout le pays ravageant tout sur son passage affectant au moins 80 % des récoltes, selon des chiffres officiels.


La part de responsabilité du réchauffement climatique est énorme. En raison du changement climatique de la planète, la saison des sécheresses devient plus longue — rétrécissant du coup la saison des pluies. Une situation qui favorise l’accroissement des insectes. Ce qui est bizarre dans tout cela c’est qu’il s’agit d’une plante cultivée traditionnellement dans les zones sèches, semi-arides non irriguée — en résumé dans des conditions climatologiques difficiles et précaires.


Le petit mil traditionnel, particulier et unique, est consommé pour l’alimentation humaine et animale. Des personnes souffrant du diabète — adoraient consommer la variété locale pour sa malléabilité voire son fort indice glycémique, à en croire des professionnels de la santé.


Le millet joue un rôle clé dans la lutte contre l’insécurité alimentaire dans les campagnes haïtiennes. En d’autres termes, il joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire des gens en Haïti. Ce, puisqu’il sert à nourrir les populations au cours de la période de soudure. Une situation liée à sa saisonnalité de production se concentrant à 70 % entre novembre et janvier.


La disparition du millet local suppose l’accroissement de l’insécurité alimentaire dans un pays qui était autosuffisant en production agricole dans les années 1960. Une disparition de la variété locale de la troisième céréale la plus importante du pays après le riz et le maïs, engendre l’augmentation de l’exportation, l’invasion du marché local par du riz apparenté au petit mil, la paupérisation de la paysannerie, l’émigration et l’exode rural.


Jusqu’à présent, rien ne peut compenser cette perte.


Milo Milfort

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