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Haïti: Quand Covid-19 déprime, angoisse et stresse !

Crise économique mondiale, « diminution » des transferts internationaux, méconnaissance du virus, non disponibilité de vaccin, nouvelles non rassurantes… autant de situations et d’incertitudes liées à la crise sanitaire causée par la pandémie de Covid-19 provoquant l’anxiété, la dépression, la solitude et l’abandon au sein de la population haïtienne. Ce qui augure des impacts psychologiques importants sur les Haitiens.nnes. Enquet’Action est allé enquêter.



Enquête

« Personnellement, ma plus grande crainte c’est de voir qu’avec cette crise la vie devient de plus en plus chère, confie d’une voix tremblotante, crispée et peu rassurante, Mégane Louis, 21 ans, étudiante en Sciences Juridiques dans une université privée de la capitale. Ainsi, les objectifs que je m’étais fixés pour 2020 sont au ralenti à cause de la Covid-19. L’irresponsabilité dont fait preuve nos autorités m’affectent terriblement. J’ai peur que la crise ne gâche complètement mes plans pour cette année et qu’il ne me brise les membres. Moralement, je crains qu’elle ne m’écrase.»

La crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19 augmente les craintes de Mlle Louis qui se questionne quotidiennement sur son avenir et sur ses rêves.

Dans un contexte de pays lock, kidnapping, crise politico-économique, insécurité, catastrophes naturelles, vie chère, inflation, la Covid-19 est une épreuve de plus à surmonter. L’espoir semble se perdre à l’horizon. Cette situation est celle de Mégane Louis, mais aussi la réalité existentielle de plusieurs milliers d’Haïtiens et d’Haïtiennes. Passant ainsi du séisme de 2010 aux innombrables crises socio politico- économiques, ces dix dernières années, la population haïtienne a traversé angoisses et géhennes. Cette crise sanitaire exacerbe un état psychologique déjà vulnérable. « Au niveau psychologique, les gens réalisent l’imminence d’un risque mortel. Les informations qui leur sont communiqués renforcent ce sentiment de danger, explique le travailleur social, Roosevelt Millard, professeur à la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH). Donc, Ils ont peur de mourir, et ressentent cette même peur à l’égard de leurs proches. Ainsi, la covid-19 éprouve psychologiquement la société sur un sujet tabou qu’est la mort»

Auguste D'Meza, spécialiste en éducation, pour sa part, pense que les impacts psychologiques de la crise découlent du comportement alarmiste affiché par certains acteurs de la scène internationale. « Il y a des sociétés où les discours sont tellement alarmistes obligeants les gens à se refermer sur eux-mêmes, soutient le commentateur politique, observant des comportements sociologiques face à la crise. A contrario, certains pays comme les Etats-Unis et le Brésil, ont fortement communiqués sur leur maitrise du virus, minimisant les risques auprès de sa population. Donc les discours alarmistes véhiculés en Haïti contribue à créer la peur auprès de la population».

Le professeur d’économie à la Faculté des Sciences Humaines, Yves Barthélemy croit de son côté que la précarité économique, conséquente à la crise, développe stress et angoisse. « Dès que vous avez faim et qu’on risque de vous déloger, vous allez penser à la mort. Parce que la crise est [jusqu’à présent] sans perspectives. Elle ne se fixe aucune limite. On ne sait pas quand ça va terminer. Ce qui vous met dans une inquiétude sans borne, indique-t-il. Dès que le niveau de votre revenu baisse votre niveau de consommation baisse aussi ».

Covid-19: Pénible existence des haïtiens de la diaspora

« Ma plus grande crainte c’est le risque de voir que dans les jours qui viennent on ne trouve pas à temps un vaccin contre la Covid-19. Cela va vouloir dire que l’on sera obligé de vivre avec, cogite Jeune Péralte, vingtenaire, qui a migré depuis presque trois ans au Chili. Autant que ses compatriotes qu’ils laissent en Haïti, il s’inquiète sur ce que pourrait être l’avenir, de plus en plus incertain. On sera également obligé de changer nos comportements face à la maladie. Ainsi, on reste là à attendre ce qui va se passer. Ce sont là mes plus grandes préoccupations. »

Et des experts au niveau mondial le confirment. On va devoir vivre avec le virus. Comme on le fait pour le Sida, la Tuberculose et le Choléra. Ce qui fait appel aux respects continuels des mesures d’hygiène autant qu’il est important de porter un préservatif pour se protéger contre le virus du Sida.

Pour sa part, Dorson Merilien, trentenaire, avoue avoir été lui aussi très inquiet au début de la maladie. Il a cru que tout le monde allait succomber au virus à tel point de le comparer à la fin de ce monde qui a vu une année 2020 porteuse de malheurs. Avec le temps, ses réflexions ont muté à l'instar du coronavirus. Mais avec les mesures barrières. J’ai fini par comprendre même si on l'attrape, on ne va pas mourir pour autant, car cela dépend avant tout du système immunitaire de la personne et des mesures de précaution adoptées. Donc, j’ai fini par le comprendre comme toutes les autres maladies ».

Plus loin, il s’inquiète pour ses compatriotes. Selon lui, cette crise à la fois sanitaire et économique va bouleverser le quotidien des haïtiens.nes qui vivent à l’étranger. Ceci, en raison des pertes d’emploi.

« L’impact économique sera considérable pour la communauté haïtienne qui vit à l’étranger, assure le professeur Auguste D’Meza, ajoutant que souvent dans ce genre de crise, les autochtones ont tendance à accuser les étrangers. Racisme et xénophobie sont des phénomènes que l’on ne peut pas ignorer Ils vont avoir un impact important sur l’état psychologique des communautés haïtiennes de la diaspora. »

Loin de leur famille, les haïtiens de la diaspora devront parfois affronter seul la mort de leur proche, la perte de leur emploi, la convalescence et autres …

Chacune de ses épreuves mettent à mal leur santé mentale.

« Le fait pour les haïtiens vivant à l’étranger de perdre soit leurs proches sans avoir la chance d’assister à leurs funérailles, soit leur emploi alors qu’ils sont tenus de payer leurs factures, cela risque d’avoir un impact psychologique [important] sur leur vie, entrainant l’anxiété et la dépression chez eux, révèle le Docteur en Psychologie clinique et psychopathologie, Jeff Matherson Cadichon argumentant que les haïtiens de la diaspora sont tout aussi vulnérables que les familles qui vivent en Haïti face à la crise provoquée par la Covid-19. Par ailleurs, ces personnes auront tendance à s’isoler, à se refermer sur elles-mêmes. Et cela peut même entrainer chez elles des idées suicidaires. »

Par ailleurs, l’isolement, la solitude et le manque de soutien social menacent la santé mentale d’une diaspora culturellement attachée à sa communauté. « Les contraintes de la vie en terre étrangère, les responsabilités et des obligations, auxquelles ils doivent face isole l’expatrié haïtien d’un soutien social nécessaire en période difficile », poursuit le psychologue, M. Cadichon.

Par ailleurs, le psychologue et professeur à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) de l’UEH, Josué Vaval, quant à lui attire notre attention sur les migrants en situations économiques précaires ou en situation irrégulière, qui sont encore plus vulnérables psychologiquement face a à cette crise causée par la Covid-19. « Cette situation peut provoquer des crises d’anxiété ou encore un état dépressif, voire des troubles psychologiques graves», reconnait-il.

L’affectation de la santé mentale des migrants haïtiens pourrait être due aussi aux processus d’adaptation et à la capacité dont ils seront appelés à faire preuve face à cette maladie qui jusqu’à date demeure inconnue pour la plupart des grands scientifiques du monde. Par ailleurs, selon le psychologue Wany Ducasse, coordonnateur général des Programmes et Projets au niveau de la Société Haïtienne de Santé Mentale (SOHSAM), ce processus d’adaptation risque d’engendrer un stress qui, à son tour, va provoquer une peur constante chez les migrants haïtiens préoccupés quotidiennement du nombre des décès et du nombre des personnes infectées dans les pays hôtes.

« La peur est une émotion très forte capable de modifier la capacité de jugement que possèdent les gens, poursuit M. Ducasse. Dès lors que les migrants haïtiens ne pourront plus contrôler leur peur du virus, cela va les sombrer. Donc, cela va avoir des retombées négatives sur leur vie. »

Des risques de suicide ?

La situation de précarité dans laquelle vit une grande majorité de la population haïtienne depuis bien avant le coronavirus ou la passivité des autorités haïtiennes à bien gérer la crise sanitaire, à la freiner et à apporter des réponses concrètes à ses éventuelles conséquences - la famine, l’inflation, le chômage et autres - peuvent susciter chez certains, surtout les jeunes, des idées suicidaires. Car à côté de leur peur constante d’attraper la maladie, de mourir ou de voir mourir leur proche, l'incapacité de satisfaire ses besoins vitaux peut constituer un véritable handicap pour certain.e.s dans ce contexte de crise.

Quoique très peu abordé dans la société, le suicide demeure bel et bien présent en Haïti et risque de se faire davantage sentir dans les jours qui viennent.

« On doit arrêter de se mentir, je connais pas mal de jeunes qui se sont suicidés, mais on a camouflé leur mort comme si c’en était une naturelle, conte le professeur Auguste D’Meza, déplorant le fait que le suicide demeure un sujet tabou en Haïti et qu’on a peur d’en parler. On doit arrêter de se mentir, car il a toujours été présent dans notre société. Et dans les jours qui viennent nous allons avoir des cas de suicides économiques chez certaines personnes. Il n’y a pas l’ombre d’un doute! Mais malheureusement, il y a très peu de psychologues et de psychiatres dans ce pays. »

De son côté, la sociologue et professeure d’université, Norah Brutus, ne conçoit pas la situation sous cet angle. Elle préfère éviter les discours alarmistes, malgré le fait qu’elle reconnait que la situation risque de devenir beaucoup plus grave à la lumière des prévisions de certaines institutions spécialisées comme la Banque mondiale, la Banque de la République d’Haïti (BRH) et la FAO qui prévoient entre autres la famine, la diminution des transferts et la flambée des prix des produits de première nécessité.

Toutefois, pense-t-elle que le suicide comme phénomène social peut être classé dans la société haïtienne dans l’ordre des exceptions. Car, il est signalé ces trois dernières années par des travailleurs sociaux et psychologues, à cause des troubles sociopolitiques et le climat de désespoir qui s’installent au pays. Cependant, le passage à l’acte demeure minimal. « Les Haïtiens.nes vont creuser davantage dans leur répertoire proverbial et/ou imaginaire – « pito nou lèd nou la », par exemple – ou se tourner vers d’autres formes de solidarité familiale /communautaire, s’armer de courage qui fonde leur résilience habituelle pour y faire face…et ne pas penser au suicide comme alternative », croit-elle.

Si le professeur Vaval préfère se retenir d’intervenir sur le sujet relatif au suicide en Haïti parce qu’il estime que c’est un complexe dans le cas d’Haïti et qui mériterait de plus amples analyses, le psychologue social, Wany Ducasse, de son côté, reconnait qu’il en existe des risques dans les jours qui viennent à cause des changements engendrés par la Covid-19. Ou du moins les idées suicidaires vont de plus en plus augmenter pendant la crise voire après. Cependant, avoue-t-il qu’il n’est pas encore possible d’établir quand un haïtien est prêt à passer à l'acte, non seulement à cause de l’écart existant entre l’idée et l’action, mais aussi à cause des constructions socio-historiques, des croyances religieuses et des proverbes qui dominent le quotidien de l’être haïtien et qui le fait accepter sa situation malgré la précarité la plus abjecte dans laquelle il se retrouve.

Des gens livrés à eux-mêmes

Dans la population haïtienne où plus de 70% des gens sont au chômage et vivent avec moins de deux dollars par jour, les transferts d’argent de la diaspora constituent pour des milliers de familles haïtiennes la plus importante et parfois la principale source de revenu. Et avec la crise sanitaire causée par le coronavirus leur situation devient de plus en plus lamentable à cause du fait que bon nombre de migrants haïtiens sont dans l’incapacité de répondre, comme avant la crise, aux besoins de leur famille vivant en Haïti soit à cause d'un décès, du chômage ou d'une convalescence.

Ainsi, pour découvrir les impacts psychologiques que pourrait avoir la crise sanitaire sur ces familles qui, pour la grande majorité, sont livrées à elles-mêmes quasiment sans l’assistance de l’Etat haïtien, Enquet’Action a fait appel à des spécialistes en santé mentale.

« Il est un peu difficile de déterminer aussitôt les impacts psychologiques de la crise sanitaire dans une situation si particulière, souligne le psychologue Josué Vaval. Mais on peut seulement dire qu’à cause de la baisse des transferts d’argent de la diaspora haïtienne et de la précarité de certaines familles haïtiennes, cela va créer des préoccupations d’ordre psychologique chez ces personnes. En plus, cette situation causée par la Covid-19 risque d’entrainer un sentiment d’abandon chez ces familles totalement dépourvues du strict nécessaire pour vivre. »

« Les impacts de la maladie vont engendrer le désespoir chez eux », dit-il. Le coordonnateur de SOHSAM, M. Ducasse, abonde dans le même sens en avançant que puisqu’il existe des liens d’interconnexion entre les humains et même des relations d’hyper connexion quand ils ont des liens familiaux, la situation à laquelle font face les ménages haïtiens ne diffère pas de celle des migrants haïtiens. Qui eux aussi subissent l’anxiété, l’angoisse et la dépression lesquelles constituent, selon lui, les principaux troubles que la crise pourrait provoquer chez les gens.

Il souligne toutefois que dans le cas des familles qui vivent en Haïti, la crise va déclencher chez elles une source d’inquiétude qui va diminuer peu à peu l’espoir qu’elles avaient sur leurs proches à l’étranger. Ce qui risque toutefois de les faire sombrer dans une situation infernale ancrée de désespoir et d’anxiété, car elles assistent aux changements systématiques de leur projet d’avenir. Et le pire c’est qu’on ne sait pas quand cela va se terminer.

M. Vaval pense que les jours à venir seront très difficiles, voire extrêmement difficiles à cause du brouillage des repères sociaux, autrement appelés l’horloge sociale, qui selon lui s’inscrit dans une dynamique sociale intégrant notre production culturelle. Laquelle production nous dote de la capacité de savoir tout ce qui doit se passer et à quel moment. Par exemple, grâce à elle nous savons à quelle période il y a ouverture ou fermeture des classes. Et quand il y a congé et autres. Cependant, reconnait-il, depuis presque deux ans tous les repères sociaux sont brouillés dans le pays.

« Lorsque les repères sont brouillés cela a un impact social sur la population », avance-t-il. Dès lors qu’il y a brouillage de l’horloge social, il y a également brouillage du mental collectif. Autrement dit, la crise sanitaire risque de provoquer de graves problèmes psychologiques chez les haïtiens qui ne vont plus pouvoir rien planifier.

Possibles solutions ?

Plusieurs des psychologues interrogés lors de cette enquête invitent l’Etat haïtien à rattraper l’occasion ratée après le séisme de 2010 de se mettre à l’écoute de la population haïtienne qui, face à cette pandémie jusqu’à date inconnue, risque d’encaisser des chocs beaucoup plus graves que ceux d’il y a dix ans. Par ailleurs, recommandent-t-ils tous aux autorités haïtiennes de faire de la santé mentale des Haïtiens.nes, une priorité.

« Il faut qu’il y ait une analyse des besoins particuliers de chaque famille, car elles ne vivent certainement pas toutes les mêmes réalités, recommande la psychologue et membre fondateur de Zanmi Sante Mantal, Cardia Saint Aude. Cette analyse va permettre à l’Etat de découvrir ce dont les gens ont réellement besoin dans cette situation difficile créée par la crise du coronavirus. Des lors, l’on pourrait mettre en place de vraie prise en charge. »

De son côté, le professeur Josué Vaval suggère à l’Etat haïtien de mettre en place, en toute urgence, des structures destinées à recevoir des gens qui manifesteraient des troubles psychologiques ainsi qu'à recueillir les doléances de la population. L’Etat haïtien pourrait doter quelques institutions comme l’église, l’école et autres, des centres d’attention de santé mentale dans le but d’accompagner la population haïtienne pendant et après le coronavirus.

Mais entre-temps, les milliers de personnes affectées dont Morgane Louis qui ont envie de voir disparaître la maladie se livrent à l’incertain, l’inconnu et tout ce qui va avec.

« C’est une pandémie ! C’est la première fois depuis ma naissance que j’assiste à cela. C'est la première fois que je vis une telle situation! Elle a touché un bon nombre de personnes à travers le monde et en a tuées pas mal. Elle a vraiment ravagé le monde, désespère Mégane Louis qui, malgré son anxiété, s’accroche aux mesures de prévention en espérant que la maladie disparaitra bientôt afin qu’elle puisse se remettre à ses habituelles activités. Etant donné que c’est une grande première pour moi, je suis obligée de vivre avec. Je vis dans une peur constante ! ».


Cet effort d’information sur le Covid-19 durant la crise a obtenu le soutien de FOKAL

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