Depuis au moins 2023, les banques haïtiennes font face à une pénurie criante de billet vert, créant une situation de crise intense dans une économie en récession depuis au moins six ans. Les discours pleuvent autant que les tentatives d’explications des autorités publiques et privées qui ne parviennent toujours pas à convaincre les clients.es réclamant à tout prix leurs dollars.
Reportage
Il est 9 h. Déjà le soleil, se pointe avec vigueur sur cette longue rue, grouillante de monde. Un soleil de plomb traînant derrière une chaleur suffocante. On est à l’avenue John Brown, non loin des locaux de la Direction de l’Immigration et de l’Émigration (DIE). Devant une banque commerciale se trouvant à proximité, un long fil d’attente est remarqué comme à l’accoutumée. Des clients commencent à rentrer. Tout semble aller bien. Arrivée à un moment, la tension est montée d’un cran suite à l’annonce d’une employée de la banque les apprenant la nouvelle indigeste : « Il n’y a pas de dollars et persiste un problème de réseaux ».
Une nouvelle qui suffit pour faire renverser le baril de poudre sommeillant. Plusieurs jeunes hommes vingtenaires et trentenaires sont remontés alors que d’autres surtout des femmes — jeunes et vieux — vident le camp. « Qu’est-ce que je vais manger aujourd’hui ? Donnez-moi mon argent. Ça, c’est une autre forme de kidnapping », a dit l’un d’entre eux. Des discussions et réclamations intenses. Entre-temps, des clients arrivent et d’autres se retirent.
« J’ai des médicaments à acheter. Cela fait trois semaines que je fais des va-et-vient pour pouvoir retirer mon argent. Ma mère est malade. Ce sont des amis.es qui m’ont emprunté de l’argent pour pouvoir acheter des médicaments », renchérit un autre portant un t-shirt de couleur noire menaçant de bruler des pneus devant les locaux de la banque. « J’ai besoin de mon argent pour rentrer chez moi. J’ai besoin de mon argent pour aller manger », poursuit un troisième.
Dans ce long fil, comme dans de nombreux autres remarqués dans d’autres banques, l’écrasante majorité des clients viennent retirer des dollars. Les tentatives d’explications des responsables ne suffisent pas pour calmer les gens. Les heures s’égrènent. Lentement et sûrement, l’entrée se vide…
Dans la porte vitrée donnant accès à la banque est placé un avis destiné à la clientèle. « En raison de la rareté de numéraires à laquelle fait face le système bancaire haïtien, nous informons à la clientèle que les transactions impliquant des sorties de fonds en cash en dollars américains ne pourront pas être satisfaites de manière régulière », peut-on lire. À la note de poursuivre : « Toutefois, les autres transactions de virement, transfert ou achat de chèques de direction en dollars américains peuvent être effectuées normalement ».
Ouverture tard suivie de fermeture très tôt, problème de signal pour effectuer des retraits, non-disponibilité de fiches de retrait, retard du convoi portant des dollars à la banque sont autant de prétextes utilisés par les banques pour ne pas fournir le billet vert aux clients.es, selon des observateurs. Certaines banques n’en donnent pas. D’autres gratifient le client d’un billet de 50. D’autres 100. Ça ne va pas au-delà de 200 dollars pour certaines banques. Pour espérer un billet de 100 en plus, des ententes avec le.la caissier.ère s’imposent.
Ces six dernières années, c’est surtout en fin d’année que cette crise surgit. Et du fait que les gens abandonnent les maisons de transfert pour les banques, afin de s’offrir le dollar vert dans une économie dollarisée, l’écrasante majorité des gens se rendant dans les banques partent à la quête du dollar, révèlent nos constats.
Pour faire face à une telle situation, des clients.es utilisent les stratégies fortes. Des femmes se déshabillent dans les banques. Des hommes ont emboîté le pas. Une action précédée toujours de fortes altercations, d’injures incessantes de clients.es réclamant leur agent déposé sur leur compte. Les clients accusent les banques de refuser de leur accorder des billets verts à une manière de priver les défavorisés et les vulnérabilisés d’en avoir accès.
Dans les lignes, le refus des banques de donner du cash en dollar, au cœur des discussions, il y a aussi, les sécurités des banques qui laissent entrer des VIP au détriment de ceux qui ont pris la ligne. « Ceux qui ont pris la ligne — sont des bons à rien », lance un Monsieur très remonté contre une dame à peine arrivée voulant tout de suite rentrer.
Les institutions bancaires confirment et proposent des alternatives encourageant les clients à faire des transactions n’exigeant pas de cash qui n’atterrissent pas. Des pratiques qui ont du mal à atterrir faute d’éducation financière. Malgré tout cela, le problème est loin d’être résolu. Et entre-temps, la gourde reprend timidement de la valeur, même si les prix des produits de première nécessité restent intacts, faisant diminuer encore plus, le pouvoir d’achat des populations.
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