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L’automédication, un tueur silencieux en Haïti

Des pharmacies ! C’est ce qui ne manque pas dans l’environnement de l’Hôpital Universitaire d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé l’hôpital général. Quiconque est remarqué avec un papier en main est vite transformé en potentiel client. e pour leurs responsables ou associés.es qui occupent le trottoir s’empressant de lancer : « Laboratoire ? Pharmacie ? »

CP: Milo Milfort/ EA


Reportage


Il est 13 heures. Le soleil est au zénith. Les va-et-vient des élèves sortant de l’école voire des passants, les klaxons des véhicules et les motocyclettes créent une cacophonie insupportable. Nous sommes à la rue Monseigneur Guilloux, au cœur de Port-au-Prince, à proximité de l'hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) transformée en véritable marché public en plein air. Difficile pour les piétons de circuler sur le trottoir occupé par des commerçants de tous types. Jean, la cinquantaine, est debout sous son parasol et devant sa bourrette, orné de morceaux de cartons servant de support aux différents médicaments qui y sont installés. T-shirt blanc, pantalon jean bleu, casquette à l’envers, il attend encore ses premiers acheteurs de la journée.


Jean tient son petit commerce de médicaments depuis 1998. Des années d’expérience qui le poussent à se considérer comme un véritable pharmacien. « C’est comme si j’avais une pharmacie. Je peux donner toutes les explications sur un médicament », laisse-t-il entendre, sourire aux lèvres.


Une expression qu’il garde au visage lorsqu’une dame s’approche de sa brouette. Elle lui demande du métronidazole et du fluconazole. Une opportunité en or pour le spécialiste autoproclamé de faire une démonstration. « Pour le métronidazole, tu peux en prendre deux fois par jour, après repas. Une fois les 10 pilules avalées, ce sera la fin de l’infection. Pour le fluconazole, c’est une pilule chaque huit jours. Tu dois les avaler avec beaucoup d’eau », ordonne — t-il à sa cliente qui s’en va avec le sentiment d’avoir trouvé une solution.


De possibles conséquences sur les consommateurs. trices ?


Stéphanie Pierre, 18 ans, réside à la commune de Carrefour, entrée sud de Port-au-Prince. Elle dit être une habituée de l’automédication. Sans l’avis d’un professionnel de santé, la jeune écolière qui avait du sang dans l’urine a pris une pilule et en a payé le prix fort. « J’ai une cousine qui a dit à ma mère qu’elle connaissait une pilule qui traitait les infections, et qu’elle allait me l’acheter. Quelques minutes après en avoir avalé plusieurs, j’étais inconsciente. J’ai passé une mauvaise journée », se souvient-elle.


Aujourd’hui, Stéphanie sait qu’elle avait perdu connaissance à cause d’une mauvaise posologie. Certes, elle évite cet antibiotique qui a failli lui coûter la vie, mais continue d'en consommer d’autres, sans prescription médicale, pour soulager ses fréquentes douleurs lors de ses règles et les maux de tête. « Dans ce cas, je prends du paracétamol ou de l’alpalide puisque les douleurs sont insupportables », précise la carrefouroise.

Tout comme Stéphanie, Angeline, jeune enseignante, a horreur des douleurs liées aux règles. Ce qui l’a poussé à faire la chasse à tout médicament capable de la soulager. « À deux reprises, j’ai pris du diclofenac. Après, j’ai ressenti de fortes douleurs à l’estomac et cela a duré plusieurs jours. Une autre fois, j’ai pris du flanax et dans ce cas, les douleurs ont duré environ une semaine », raconte-t-elle.


Quelque temps après, Angeline a découvert que les maux d’estomac qu’elle présentait étaient liés à une inflammation qu’elle a au niveau de cet organe et que le diclofenac et le flanax sont déconseillés aux personnes ayant ce problème. « J’ai dû voir un médecin et j’ai suivi un traitement. Je n’ai plus de douleurs », informe l’institutrice.


Plusieurs personnes ont confié à Enquet’Action avoir fait usage d’un médicament qu’une connaissance, présentant les mêmes symptômes qu’elles, ont déjà utilisé. Les mêmes symptômes ne signifient pas pour autant la même maladie, fait savoir le gynécologue Fabrice Joseph. « Il existe plusieurs types d’infections. Les symptômes sont souvent identiques. Ce n’est qu’après un examen de laboratoire qu’il est possible de savoir avec quoi on a affaire. Et là, on pourra partir pour le traitement approprié », explique-t-il.


Pour les femmes qui font usage de comprimés ou de remèdes naturels sous prétexte de prévention contre les infections qui peuvent survenir après les règles, le gynécologue les conseille de ne pas continuer dans cette pratique. « Le vagin se nettoie seul. Lorsqu’on n’a pas d’infection et qu’on prend des médicaments pour en prévenir, on devient vulnérable puisqu’on détruit la flore vaginale qui est là pour protéger l’organe », détaille le médecin.

L’utilisation de médicaments sans l’avis d’un médecin peut non seulement rendre vulnérable un organe, elle peut aussi déranger le bon fonctionnement de l’organisme humain. « Cela peut agir davantage sur les symptômes d’une maladie ou encore provoquer une allergie », révèle le Dr Ted Barnard Charles. L’interniste affirme rencontrer régulièrement des patients.es qui s’automédiquent. Une pratique qui donne du fil à retordre aux professionnels de santé.


« L’automédication empêche une interprétation fiable des résultats de laboratoire. En ce sens, c’est impossible de faire un diagnostic », révèle l’ancien pensionnaire de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH).


Le danger des médicaments en vente libre


Des pharmacies ! C’est ce qui ne manque pas dans l’environnement de l’Hôpital Universitaire d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé l’hôpital général. Quiconque est remarqué avec un papier en main est vite transformé en potentiel client. e pour leurs responsables ou associés.es qui occupent le trottoir s’empressant de lancer : « Laboratoire ? Pharmacie ? »


Si dans la majorité des cas, ceux et celles qui entrent dans ces pharmacies présentent leurs prescriptions, ce n’est toutefois pas une obligation. Connaître le nom du médicament suffit pour être servi. Une situation anormale selon Pierre Hugues Saint-Jean, président de l’Association des pharmaciens d’Haïti (APH). « Tout pharmacien doit refuser de vendre à quiconque un médicament sans ordonnance, même si la personne lui explique ses problèmes de santé. Surtout quand il s’agit d'antibiotiques qui ne devrait pas être en vente libre », souligne-t-il.


Selon le pharmacien, cette situation persiste en raison du manque d’accessibilité de la population aux soins de santé. « Il arrive que l’institution médicale soit là, mais le malade n’y va pas parce qu’il n’a pas les moyens économiques pour payer les frais de consultation ou encore les médicaments. Dans ce cas, ils se procurent des médicaments à bon marché qui se vendent dans les rues », explique M. Saint-Jean.


Panier ou cuvette posés sur la tête, les marchands.es de médicaments ambulants parcourent les rues à longueur de journée exposant ainsi les produits à différents types de températures. Ce qui est loin d’être recommandé. « Normalement en Haïti, il fait environ 35o Celsius. Aucun médicament ne doit être exposé à cette température. Malheureusement, c’est ce que nous faisons », se désole le responsable de l’APH soulignant que les produits concernés peuvent devenir nocifs pour l’organisme. Produits souvent convoités par les petites bourses ou les personnes se trouvant en situation d’urgence, et ce, sans l’avis d’un professionnel de santé.


Fabiola Fanfan

Ce projet de contenus est soutenu par l’IFDD/OIF.


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