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L’usage de l’huile recyclée, un danger pour le corps et une source de maladies mortelles

L’utilisation à outrance de l’huile recyclée dans la cuisson constitue une pratique commune chez l’écrasante majorité des marchands.es de fritures en Haïti, entre autres. À cause de la cherté de la vie, les petits.es commerçants.es réutilisent plusieurs fois la même. En conséquence, les risques de maladie sont énormes, à en croire des spécialistes contactés par Enquet’Action. Tumeur, cancer, maladies cardio-vasculaires et endocriniennes sont, entre autres, des pathologies fréquentes liées à cette habitude néfaste.


Reportage


Très tôt dans la matinée, l’avenue Charles Sumner s’est déjà réveillée. Les portes des institutions sont ouvertes. Les marchands.es se sont alignés.es sur l’allée et exposent leurs produits. Des fritures, des « acras » et des friandises sont étalés sur une table dotée d’un couvercle en plastique. Les fritures ont l’air chaudes, dégageant de la chaleur à profusion. Non loin, des morceaux de viandes, de patates, de pâtés et même des saucisses s’entremêlent dans une grosse chaudière remplie d’huile. Installés dans un réchaud allumé, ces éléments entrent en ébullition.


Nous sommes devant une friterie à ciel ouvert située non loin du ministère de la Justice et de la Sécurité publique. Ici, c’est la centrale de la friterie. Les marchands.es occupent la chaussée çà et là. Quotidiennement, ils.elles répondent à l’appel pour desservir les employés.es de différentes institutions publiques et privées de la zone. « La viande et même la patate sont de grands absorbants d’huile. Pour cela, je renforce timidement la chaudière quand c’est nécessaire. Toutes les fritures consomment de la graisse », confie Roseline, mère de famille, vêtue d’une robe brune, la tête voilée, assise sur une chaise rouge à côté de sa table garnie de fritures.


Quatre années dans ce domaine, elle alimente continuellement sa chaudière bourrée d’huile en viandes et en pâtés. Roseline déplore entre autres, la cherté voire la rareté de certains produits pouvant faire fonctionner la friterie. Elle cite notamment : la banane et la pomme de terre.  Alors, se dit obligée de verser un gallon d’huile dans la chaudière pour booster la cuisson. Tout comme les autres produits, l’huile coûte les yeux de la tête. Or, pour la cuisson, un gallon ne peut pas répondre à la charge. « Chaque jour, j’achète un gallon et demi d’huile. Parfois, en réfléchissant à sa cherté, il paraît impossible de la mettre de côté si sa couleur reste inchangée », se désole cette marchande. Cette activité n’est pas florissante, soutient-elle, tout en admettant qu’elle ne puisse rester sans rien faire. Pour tenir tête à la vie, elle s’adonne à fond dans ce petit commerce.


« Mes responsabilités sont énormes. Pour répondre à mes besoins, je me donne la friterie comme occupation. J’essaie chaque jour d’améliorer la qualité, assure-t-elle. Je respecte les conditions hygiéniques et je n’utilise pas de l’huile noire. Contrairement aux autres marchands.es, les miennes sont toujours propres. Car, on m’a appris que la mauvaise utilisation de ce liquide gras peut engendrer des soucis de santé », ajoute Roseline.


La cherté de la vie épinglée…


Plus loin, le même ras-le-bol fait surface. L’inflation et la variation dans les prix de l’huile sont trop exagérées. En outre, les produits sont trop chers. L’une des causes incitatives permettant aux marchands.es d’utiliser de manière addictive et outrancière de l’huile recyclée. Marie José est vendeuse de friture depuis 10 ans. Elle nous confie que le prix de l’acide gras est instable sur le marché. « Je ne peux pas donner un prix exact. Dépendamment de l’endroit où vous faites l’achat de l’huile, ça peut etre élevé ou excessivement élevé. Le prix est largement varié. Malgré sa cherté, on est obligé de l’acheter pour la cuisson de nos produits. On ne peut pas faire autrement », dit-elle.


Ce vendredi matin, 3 février 2022, elle achète le petit galon de l’huile à 1750 gourdes. Elle confirme que le prix du récipient de 5 gallons est élevé à 7500 gourdes et parfois même 10 000 gourdes. « Ces prix représentent pour nous un lourd fardeau. Pour garder la friterie en vie, je fais en sorte que les autres produits comme l’acra, le pâté, la marinade… couvrent la dépense excessive de l’huile. C’est le seul moyen pour nous de survivre », explique-t-elle.


Pour l’instant, Marie Jose marine lentement une pâte. Toutefois, la chaleur de ses deux grosses chaudières remplies de l’huile l’ordonne d’ajuster de la marinade. Même si ses chaudières sont prêtes à déborder de l’huile, elle persuade qu’elle va tout utiliser pour aujourd’hui. Car, on est vendredi, son dernier jour d’activité de la semaine. Mais, le scénario pourrait certainement être différent si on était au début de la semaine. « Je ne peux pas revenir avec cette huile la semaine prochaine. C’est trop risqué pour notre santé. Mais, la semaine qui va venir, j’aurai une quantité d’huile à stocker pour toute la semaine », confie-t-elle sans langue de bois.


Pour une journée, Myrlande, une autre commerçante, utilise deux gallons d’huile. C’est trop cher pour nous, raconte-t-elle, soutenant qu’il y a des vendeuses qui ne peuvent même pas acheter un demi-gallon. Elle verse un gallon d’huile dans la chaudière chaque jour pour commencer ses activités. De temps en temps, elle la renforce. « C’est ma manière de procéder pour économiser l’huile. Grâce à cette méthode, la chaudière contient en permanence de l’huile et jusqu’à la fin de la journée », expérimente Myrlande pendant l’absence de la propriétaire de ce petit commerce.


Après plusieurs cuissons, le liquide change de couleur. Souvent, elle devient noire. « À ce stade, on est obligé de jeter le rejet de l’huile restant. Le recyclage de l’huile lui permet de garder sa propreté », pense-t-elle. À ce moment, elle affirme faire l’usage outrancier de cette huile même dans les jours qui suivent et que personne n’aura de soupçon sur sa qualité. C’est la cherté des produits qui nous oblige à faire tout cela, soutient Myrlande. Plus loin, elle est consciente de ce que cela représente comme danger pour la santé. « Je sais que cette piteuse pratique comporte des risques de maladie, mais on ne peut pas faire autrement. On n’a pas de grands moyens ».


Renforcer l’huile progressivement dans la chaudière, utiliser durant plusieurs jours cette même huile… Celle-ci est la réalité de plusieurs centaines de marchands.es à travers la région de Port-au-Prince et dans les différentes grandes villes de province où la friture reste un commerce florissant rapportant du coup gros dans un pays où la misère bat son plein. Pourtant, nombreux.ses sont les Haïtiens.nes qui semblent ignorer les dangers de cette pratique culinaire.


L’huile recyclée, un danger mortel !


L’acide gras se révèle d’une importance capitale pour le corps. Très présent dans la cuisine haïtienne, le gras est incontournable sur la table familiale. Docteur Rubin François, spécialiste en médecine interne, opte pour la consommation de l’huile, mais avec modération. Elle est l’un des trois éléments les plus importants pour le corps. Lipide, glucide, protéine en sont les fondamentaux pour le bon fonctionnement du corps. Il est normal que nous consommions de l’huile. En revanche, le plus important, c’est la qualité et la quantité, explique-t-il. Par ailleurs, non structuré, le marché haïtien n’est pas régulé, laisse croire le nutritionniste. Ce qui fait que les produits étrangers envahissent aisément le sol haïtien. En réaction, avant la mise sur le marché, l’acide gras devrait être étudié, croit-il.


Les marchands.es de rues ont souvent fui les huiles de qualité. Ils/elles se dirigent vers celles qui sont bon marché, confie M. François, détenteur d’un Master en Nutrition et diététique, contacté par Enquet’Action. Toutes ces dérives peuvent amener de nombreuses maladies comme l’hypertension artérielle, le cancer, la tumeur, etc. Ces problèmes de santé sont liés à une mauvaise alimentation. Il affirme qu’en Haïti, on n’a pas une culture alimentaire. Si l’on veut équilibrer notre alimentation, on devrait diversifier nos plats. Et dans cet enchaînement, l’usage d’une huile de mauvaise qualité n’est pas recommandé. Cela fait augmenter le poids. Les concernés peuvent devenir obèse et les artères peuvent être bouchées. Il a des risques sur les vaisseaux sanguins, qui vont plus tard détruire le système cardio-vasculaire et endocrinien du corps.


Entre-temps, cet expert jette son dévolu sur les différents types d’huile et les éléments qui les constituent. Dépendamment du type de l’acide gras, les risques peuvent augmenter ou diminuer. Il y a plusieurs qualités d’huile. Certaines sont à base d’olive, d’autres à base de maïs et d’une multitude de bases. Elles sont constituées en partie d’acide gras mono saturé et poly saturé, explique-t-il. Dans la majorité des cas, les meilleures huiles sont très chères et se vendent dans des endroits bien spécifiques. La matière grasse est véritablement variée dans sa présentation. Certaines se composent d’huiles essentielles. De l’oméga 3 et l’oméga 6, ces catégories sont hissées au rang des meilleurs acides gras. L’usage de ces substances joue en faveur des consommateurs. Par ailleurs, pour les anomalies de santé liées à la consommation outrancière de l’huile recyclée, le spécialiste Ruben François met un barème, en se basant sur les recherches déjà réalisées.


«L’acide gras animal et végétal que nous consommons est très important pour le corps. Car, notre organisme ne peut pas produire assez de glucides pour son fonctionnement. En revanche, que l’usage de cet acide gras respecte les normes sanitaires», nuance-t-il. Plus loin, il croit qu’il faut que nous entamons notre propre production d’huile en Haïti, afin que nous puissions avoir une bonne consommation en graisse. Sinon, les responsables doivent de manière permanente effectuer des recherches sur les huiles importées dans le pays, recommande le spécialiste, avec véhémence.


Une catastrophe en vue ?


Le Docteur Patrick Jacques, nutritionniste et phytothérapeute, ne reste pas indifférent à cette affaire. Il pense que la consommation démesurée de l’huile est d’ordre culturel. « C’est une question de culture culinaire. Présente chez les consommateurs, la tendance est que dans les foyers haïtiens, plus les gens ont des moyens financiers, plus ils consomment gras. Et, ceux qui n’ont pas les moyens adéquats ne mangent pas trop d’huile», affirme le gastroentérologue.


En revanche, le “‘Chen janbe” représente un danger imminent, relate Dr Jacques tout en précisant qu’il n’utilise pas cette expression créole comme terme péjoratif, mais pour le mot approprié. Le gras, utilisé par les marchands.es de nourriture et de friterie, est très proche du pétrole et du végétal. L’acide gras est recyclable. Il peut être utilisé à plusieurs reprises dépendamment du type d’huile utilisé par les vendeurs.ses. Dans les restaurants aux États-Unis, les chefs de cuisine utilisent de l’huile industrielle, dit-il. « Cette matière grasse nécessite un chauffage constant et répétitif. Cette catégorie d’huile est destinée uniquement à la friterie. Elle doit être toujours gardée sous haute pression de la chaleur, jusqu’à un mois et demi. À l’inverse en Haïti, ces petits.es commerçants.es utilisent n’importe quoi comme gras sans aucun contrôle », ajoute-t-il. Le détenteur du master en gestion hospitalière, Dr Patrick, relate l’ensemble des risques liés à la consommation démesurée du gras.


« Les conséquences sont énormes », avance-t-il. D’après lui, plusieurs maladies sont issues de la consommation de l’huile. L’usage de mauvaise qualité d’huile est cancérigène. Il peut provoquer de l’arthrose et le cholestérol. Il peut engendrer des risques cardio-vasculaires et des complications au niveau des reins et de l’estomac, affirme-t-il, plaidant pour une génération engagée dans une campagne alimentaire. « À l’école, à l’université, dans les zones reculées, un plan d’alimentation pour tous est nécessaire. Les anciennes méthodes de nos parents doivent être de mise dans nos plats. Telle, la patate, la banane boucanée et tant d’autres », propose donc le phytothérapeute comme alternative.


Pierre Samuel MARCELIN


Ce projet de contenus est financé par l’IFDD/OIF.


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