La Fondation Toya a organisé, dimanche dernier, la cérémonie de clôture de son programme « Kore Tifi ». Cette activité s’est déroulée en son local à Delmas 60 avec les bénéficiaires autour du slogan : filles leaders aujourd’hui, femmes leaders demain. Ce programme d’encadrement et de renforcement des capacités des filles touche à sa fin, les responsables croient que la lutte pour une société équilibrée ne devra jamais s’arrêter.
À Delmas 60, il est 11 heures moins. Les acteurs de Kore Tifi se réunissent pour une cérémonie d’hommage et d’adieu. La salle est remplie à craquer. C’est un mariage de mauve, de blanc et d’orange qui forme ce décor bien planté accueillant la foule. Avec deux rangées de jeunes filles accompagnées de quelques membres de leurs familles, l’ambiance se déchire sous la houlette de deux d’entre elles qui mènent la danse. Animations musicales, chants, théâtres, slam, danses, les jeunes de la Fondation Toya plient le monde dans un instant de bonheur.
« C’est avec un sentiment de satisfaction que nous clôturons ce programme. On met un terme à nos activités, mais la bataille continue », clame Mialove Barthelemy, la coordonnatrice de projet à Fondation Toya, exprimant fierté et nostalgie de se voir à deux doigts de terminer cette mission combien passionnante. Ce projet implanté depuis 2019 dans les communautés de Carradeux et de Delmas 60, entre autres, avait pour objectif de conscientiser les communautés sur les violences exercées à l’égard des femmes et des filles et sur le VIH SIDA, tout en augmentant le leadership féminin dans ces communautés.
Une centaine de filles ont bénéficié de ce programme à travers les clubs implantés par la Fondation. « Nous clôturons le programme avec 100 filles dans quatre clubs différents à raison de 25 par club », explique fièrement la coordonnatrice dans sa veste grise. « Parmi les quatre clubs, nous en avons deux qui accueillent des filles de 8 à 15 ans, et les deux autres, celles de 15 à 19 ans », a-t-elle précisé. Si les clubs n’arrivent pas à stopper la violence dans leurs zones cible, Mme Barthelemy croit qu’ils parviennent dans une certaine mesure, à la réduire et à ériger des garde-fous contre sa multiplication.
« Nous avons réalisé au moins 15 activités par semaine dans les communautés. Au moins 300 personnes sont touchées par trimestre », ajoute la coordonnatrice de projet, précisant que la fondation, à travers ses activités, arrive à conscientiser les gens et parvient à changer le comportement des filles face aux actes de violence. « La question du viol par exemple, ne peut pas être vue uniquement dans un angle juridique, il faut regarder la culture, l’éducation des gens et autres paramètres qui influencent leur vision des choses ».
« Au départ, j’étais terriblement timide. Je ne pouvais même pas parler. Mais le club m’a transformé », témoigne Djomaylie Laurine Placide, une adolescente de 13 ans. Elle déclare que le programme a changé sa vision du monde, d’elle-même et des autres. « Ce qui m’a le plus marqué, c’est mon comportement discriminatoire à l’égard des autres. J’avais l’habitude de stigmatiser et de discriminer ceux et celles qui ne sont pas comme moi, surtout les personnes handicapées. Au club, j’ai appris à respecter leurs droits. Je n’agis plus de la sorte », nous confie avec sérénité, celle qui prépare son examen de 9e AF, soulignant qu’elle a déjà participé à une activité visant à sensibiliser les gens sur le respect des droits des personnes handicapées.
À côté d’elle, une fille au teint clair nous parle. Vertu d’une robe en carabella, ornementée de chaînes, de boucles d’oreilles, de petits anneaux posés sur les doigts, Louis-Shama Joseph ne marche pas ses mots. « Nous les femmes et les filles, nous avons des droits, nous avons le pouvoir et nous avons notre place dans la société », revendique la jeune fille de 18 ans. À entendre Louis-Shama, elle est dorénavant, plus que jamais équipée et déterminée pour défendre sa cause. « Aujourd’hui, avec fierté, courage et détermination, je suis prête à mener cette lutte avec tout ce que j’ai appris pendant mes quatre ans au club de Kore Tifi », termine-t-elle.
À l’occasion, les responsables ont présenté un groupe d’activistes communautaires qu’ils ont formé tout au long du programme. Ce sont des professeurs, des leaders communautaires, des personnels de santé. Selon Mialove Barthelemy, ils/elles vont assurer la continuité du travail dans leurs communautés respectives. « Nous avons clôturé le programme avec 34 activistes communautaires. La Fondation Toya et ses partenaires ne seront pas sur le terrain de manière physique. Mais avec ces activistes, le plaidoyer va continuer pour perdurer le programme », avance la responsable de projet.
Par ailleurs nous avons rencontré deux responsables de club. Elles nous accueillent dans la bibliothèque de la fondation. Une salle garnie de livres de divers domaines. À chaque façade, une affiche accrochée au mur : ou viktim vyolans ? Pa fè silans. Et, à la sortie, des numéros sont affichés pour ceux et celles qui ont besoin d’une assistance psychologique. Calexis Delphine est responsable des filles de 15 à 19 ans. « C’était une expérience enrichissante. On crée cet espace où les filles peuvent se libérer, apprendre et se développer. Nous les mentors, nous avons appris beaucoup de choses en échangeant avec elles », nous confie la gestionnaire, soulignant que l’expérience l’a permise de mieux comprendre les enjeux et l’a aussi incitée à approfondir ses recherches en vue de mieux accompagner les filles.
« J’ai travaillé avec les filles de 8 à 15 ans. À cet âge, les filles observent et subissent la violence dans leurs familles. La façon dont certains pères traitent leurs femmes, la façon dont elles sont traitées par leurs parents », déclare Monica Cadet, soulignant que son travail était d’amener les filles à identifier ces actes de violence, à prendre position et à ne pas se laisser faire. Pour ces deux mentors, il s’agissait d’un travail de construction et de déconstruction. Elles croient avoir changé la perception des filles sur la violence basée sur le genre et les inculquer le comportement à adopter en ce qui concerne la défense de leurs droits à tous les points de vue.
Cette ambiance conviviale se déroulant sous le rythme de quelques tubes musicaux qui envoûtent la foule, était aussi une occasion de partages, de témoignages, d’affirmations, de promesses et d’engagements. Des parents ont témoigné leur satisfaction. Ils affirment que les impacts du club sur leurs filles sont bien visibles. Elles deviennent plus responsables, plus compréhensives et beaucoup plus autonomes.
De la même veine, Saint Louis Linda, qui a pris la parole au nom de toutes les filles, n’a pas aménagé ses vocabulaires. Dans son discours témoignant la gratitude des bénéficiaires du programme, elle attire l’attention sur ce qui a fait la pierre d’angle de cette aventure. « Les femmes agissent, la société change », lâche la jeune fille au teint clair, debout dans sa robe rouge, pour exprimer leurs engagements à travers des mots comme : formation, compétition, efforts, solidarités, luttes, fierté, promesses.
À entendre la coordonnatrice, cet engagement dans la lutte pour le respect des droits des filles va prendre chair à travers un comité formé avec les filles bénéficiaires du programme. La formation de ce comité de plaidoyer concrétise la quatrième phase du projet qui est celle d’action. Après les premières phases : commencer, conscientiser, supporter, elles croient que les jeunes leaders formées sont prêtes à agir pour changer leur communauté.
Si la Fondation Toya lutte depuis 2007 pour le respect des droits des femmes et des filles dans la société haïtienne, elle ne compte pas, cependant, initier une inimitié entre les deux sexes, selon les propos de la coordonnatrice, appuyée par ses mentors. « À la Fondation Toya, nous postulons pour une masculinité positive. Nous ne voulons pas renverser le pouvoir des hommes, nous luttons pour un équilibre », soutient Mialove Barthelemy, soulignant que la fondation commence déjà à implanter des clubs pour les garçons en vue de changer leur perception sur la question de genre et de pouvoirs dans la société.
Ce programme réalisé en collaboration avec Beyond Borders et Onufemmes comme partenaires financiers ; repenser pouvoir/dépasser les frontières comme partenaire technique, a rencontré pas mal de difficultés. Les troubles sociopolitiques qui gangrènent le pays, la crise de la covid-19, le découragement, l’abandon de certains bénéficiaires et activistes pour rejoindre le programme humanitarian Parole, sont entre autres, les défis que la fondation a été amenée à relever.
La coordonnatrice croit qu’en dépit de tout, les objectifs ont été atteints, des mécanismes de suivis ont été mis en place et parmi eux, une application mobile du nom de « Alo Toya » que les gens peuvent télécharger sur leur Android et bientôt sur leur iPhone pour demander l’aide de la cellule psychosociale de la fondation.
Jean Robert Bazile
Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF
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