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Le défaillant système de santé haïtien à l’épreuve d’une crise sécuritaire sans précédent

Destruction, suivi de pillage voire d’incendies, d’hôpitaux, de pharmacies et de containers comportant des médicaments et intrants médicaux, des laboratoires produisant des médicaments fonctionnant au ralenti, la fermeture de centres hospitaliers, des ports et des aéroports, constituent la situation actuelle à laquelle confronte le système de santé haïtien déjà défaillant.


CP: Des lits vides dans une salle d’hospitalisation de l’hôpital de l’Universitaire d’État d’Haït, le 27 mars 2024/Molière Adely


Reportage


Au bas de la ville de Port-au-Prince, des zones entières sont vidées de leurs occupants et des activités qui les ont rythmés. La désolation remplace les services dans les espaces qui abritent hôpitaux, centres de santé et pharmacies qui ont été vandalisés et/ou incendiés par des gangs. Cette situation sécuritaire ayant commencé depuis au moins 2018, a pris une autre ampleur avec l’assassinat du président Jovenel Moise en juillet 2021 et s’est totalement détériorée fin février 2024. Depuis, les gangs ont imposé une situation de terreur en incendiant des commissariats et antennes de police. Ils ont fait évader environ 4 mille prisonniers issus des deux plus grandes prisons du pays et multiplient de nombreuses tentatives pour prendre le contrôle du Palais National.


Dans ce véritable chaos, les attaques contre les établissements de santé y compris le plus grand centre hospitalier public du pays se poursuivent dans la capitale. Au moins une quinzaine, fréquentés par les masses défavorisées, sont fermés. L’accès aux soins de santé est de plus en plus restreint. Se procurer des médicaments devient un pari impossible. Ce qui ne fait qu’aggraver davantage l’état de santé de la population. 


« SITUATION CATASTROPHIQUE »


Bien avant, le système de santé haïtien faisait face à la fuite massive des professionnels de la santé comme les médecins, les infirmières et les pharmaciens. Les actes d’enlèvements les visant : l’une des raisons majeures. « C’est une situation catastrophique. Nous assistons à une destruction systématique de l’État-nation.


C’est la première fois de toute l’histoire d’Haïti que des groupes de bandits décident de mettre fin à l’existence d’un pays. Cette destruction est quelque chose que personne ne parviendra à reconstruire », a déclaré à Enquet’Action le Dr Ronald Laroche, directeur du réseau DASH comportant au moins 20 centres médicaux à travers Haïti. L’entrepreneur se dit peiné de voir qu’il n’y a pas encore un sursaut national et que les Haïtiens ne prennent pas encore la mesure de la catastrophe dont la facture sera à l’avenir très salée. « Je n’ai pas l’impression que le message est passé avec suffisamment de clarté. Le pays est détruit. Toutes ses structures sont détruites », ajoute le médecin. 


Depuis l’enclavement de Port-au-Prince et ses environs par les gangs, le groupe DASH a perdu l’Hôpital Saint James à Martissant 4, récemment l’hôpital Jude Anne à Delmas 18 et un centre médical à Tabarre, au nord de Port-au-Prince. « La perte financière n’est rien comparée à la perte de services qu’il y a eu pour la population », concède le Dr Laroche. 


De son côté, le ministère haïtien de la Santé publique et de la Population (MSPP) ne cesse de tirer la sonnette d’alarme. Dans le document « Situation humanitaire en Haïti au début du mois d’avril 2024 (secteur santé) » de son Unité d’Étude et de Programmation (UEP), les autorités font état d’une situation pour le moins inimaginable. « La violence dans certains quartiers a entravé l’approvisionnement en intrants médicaux et les déplacements du personnel vers les établissements de santé, tout en empêchant les gens d’accéder aux prestataires de soins », a fait savoir Jean Patrick Alfred, assistant-directeur de l’UEP et auteur du document. 


Tout au long de l’année 2023, plusieurs établissements de santé ou hôpitaux gérés par des organisations gouvernementales ou non gouvernementales ont été attaqués ou contraints de suspendre leurs activités en raison de menaces ou de violence, rappelle-t-il. « La paix est un déterminant structurel de la santé.


Inversement, les conflits ont des conséquences catastrophiques sur la santé des populations et sur les systèmes de santé. Et nous lançons un cri pour la population haïtienne », a-t-il poursuivi. 


LE SECTEUR PHARMACEUTIQUE N’EST PAS ÉPARGNÉ


La situation d’insécurité et de violence déclenchée dans le pays depuis un certain temps à des impacts sur le secteur de la santé en générale et pharmaceutique en particulier. « Il y a une pénurie de médicaments et d’intrants médicaux. Cette pénurie aura des impacts sur l’état de santé de la population », se plaint Pierre Hughes Saint Jean, président de l’Association des pharmaciens haïtiens (APH). Les personnes faisant face à des maladies chroniques qui sont sous traitement ne peuvent le continuer en raison de la rupture de médicaments et les pathologies aiguës comme les plaies par balles, les victimes d’accident feront face aux problèmes de disponibilité d’intrants pouvant garantir leur prise en charge, entre autres conséquences avancées par le pharmacien. « Déjà, on avait un système de santé à genoux. Un système de santé délabré et défaillant.


Et la situation actuelle va l’aggraver davantage. Nous pensons que nous ne pouvons pas descendre plus bas, mais malheureusement, on ne fait que s’enfoncer davantage », ajoute-t-il en entrevue à Enquet’Action. Selon M. Saint Jean, Haïti disposerait de trois laboratoires de production de médicaments couvrant entre 25 à 30 % des besoins locaux en la matière. « L’un d’entre eux est fermé en raison de la situation actuelle dans la zone où il se trouve et les deux autres ne fonctionnent pas à plein régime donc en dents de scie », affirme-t-il. 


Les hôpitaux, encore ouverts, sont confrontés à une pression importante marquée par la surcharge de travail. C’est le cas par exemple de l’Hôpital Universitaire La Paix à Delmas 33 qui reste opérationnelle entre autres, grâce aux soutiens de l’Organisation panaméricaine de la Santé et l’Organisation mondiale de la santé (OPS/OMS) — le soutenant en fournitures de médicaments, de fournitures médicales et carburant. « Si cette situation persiste, nous allons arriver à un pays en état de mort presque clinique. Parce que le pays n’aura plus de ressources pour s’occuper de la situation. J’ai l’impression que nous ne voyons pas encore la gravité du problème. Le pays disparaît. Le pays cesse d’exister. Les politiciens de salons ne se rendent pas comptent qu’ils sont en train de perdre Haïti tout court », relève Dr Ronald Laroche, directeur du réseau d’hôpitaux DASH. 


Pour lui, une aide massive internationale est nécessaire pour la reconstruction des hôpitaux et des écoles. « Les banques en Haïti ne pourront pas financer le commerce et l’industrie — la construction des hôtels et des hôpitaux. Nous sommes en train de vivre une catastrophe inimaginable », souligne-t-il. 


L’état de siège dans lequel se trouve la capitale a poussé pas moins de 53 mille personnes à fuir Port-au-Prince cherchant refuge dans les villes de province du pays déjà en carence d’infrastructures sociales de base. Leurs besoins incluent l’accès à la nourriture, aux soins de santé, à l’eau, au soutien psychologique et aux installations d’hygiène.


Pour l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), le manque d’opportunités économiques, associé à l’effondrement du système de santé et à la fermeture des écoles, jette une ombre de désespoir, poussant de nombreuses personnes à envisager la migration comme leur seul recours viable. Cependant, pour la plupart des Haïtiens, la perspective d’une migration régulière reste un obstacle insurmontable, laissant la migration irrégulière comme seul semblant d’espoir loin d’un pays où même tomber malade n’est absolument pas permis.


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