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On va tous mourir, portés par le doux son des violons

Ce discours politique de Martine Moïse, à la fois populiste et fumeux, rappelle un Titid au plus haut de sa forme, quand il utilisait les codes du daki, sa langue tournée sept fois, pour jouer sur les cordes sensibles des émotions socialisées. Même en gardant tout le respect pour la douleur de madame de Moïse, on est en droit de trouver cela abject et indécent.




Ce mois de juillet aura confirmé le sale temps que connaît la planète. Un incendie ravage l’Ouest des Etats-Unis, la canicule tue au Canada, les inondations ravagent l’Allemagne, la Belgique et la Chine, la famine due à la sécheresse frappe Madagascar… On sait que le réchauffement climatique va augmenter l’incidence de ces phénomènes dévastateurs. Des scénarios apocalyptiques modélisés en 1972 s’avèrent de plus en plus inéluctables, selon les expert.e.s.


Malgré tout, les discours politiques grippent la machine décisionnelle. Trop d’intérêts puissants obscurcissent le bon sens. Comme les passager.ère.s du Titanic qui ont eu droit aux sons des violons, l’humanité reçoit des discours alors que tous les signaux de Mère Nature sont au rouge. C’est abject, indécent. Les plus riches se tournent plutôt vers les planètes voisines en guise de zones de repli. Deux milliardaires américains se sont envoyés dans l’espace pour donner le ton. L’avenir de l’humanité est sur Mars et non sur ce vulgaire caillou bleu qu’elle habite depuis 200 mille ans.


En Haïti, ces phénomènes paraissent lointains, les échos d’un univers parallèle. La production agricole est abonnée à la sécheresse et à ses conséquences depuis au moins 2009. Et puis il y a eu l’ouragan Matthew en 2016. Les vents violents ont laissé des écosystèmes entiers littéralement calcinés. Ce que les expert.e.s savent, le pays en a eu la primeur. Il n’y aura pas de décision parce que le dernier gouvernement formé, comme tous les précédents, vise la continuité, en se calquant sur des échéances électoralistes et non climatiques.

En Haïti, en juillet, alors que le navire prend l’eau, il y a eu d’autres chats très sombres à fouetter. L’assassinat du président Jovenel Moïse et l’enquête digne d’un mauvais thriller ont occupé les esprits. Des mobiles, criminels, armes utilisées, préparatifs et complicités, on ne sait toujours rien. On ne sait même pas si le corps a subi une autopsie selon les règles.

On sait en revanche que Jovenel Moise est un parfait héros haïtien. Il faut rappeler en disant cela, que le héros haïtien est généralement un mashup entre Legba, Bouki et Promethée. Un antihéros ayant pour plus grand accomplissement, sa propre mort. Il faut rappeler aussi que le héros n’est en aucun cas la personne réelle, ni dans le cas de Moïse, le personnage politique. C’est sa mythification, une icône créée de toute pièce par un processus narratif dont les racines se nourrissent de l’imaginaire collectif.

Le Dessalines que nous connaissons aujourd’hui n’est certainement pas l’homme, qui est tombé à Pont-Rouge, le 17 octobre 1806. Si c’était le cas, certain.e.s l’aimeraient peut-être moins. Il est l’ensemble des histoires que nous nous racontons à son sujet et qui nous font sentir comme un NOUS.

Jovenel Moïse est donc entré facilement, deux pieds devant, au panthéon des héros temporels et de papier, grâce aux histoires racontées depuis sa mort, pour se retrouver aussi bien aux côtés de Jean-Jacques Dessalines que Ti Jean, Bouki et Malis. Sa mort a fait ressurgir une collectivité, les «gens du Nord», perpétuelles victimes des gens de la République de Port-au-Prince.

Aux funérailles, on a eu droit à plus de discours encore. Celui de Martine Moïse, l’épouse du défunt, est assez emblématique. A la fois poétique et conspirationniste, le texte accuse la patte d’un.e expert.e, qui, s’il.elle n’a pas tout écrit, a du déplacer quelques virgules. Tout le long, la veuve du président s’est évertuée à préciser les contours de la figure héroïque Jovenel, tout en pointant un ennemi que le peuple est censé déjà connaître.

«Ils sont là à nous regarder, à nous écouter, espérant nous faire peur», a-t-elle dit. Oui, mais qui ? Le peuple qui n’était pas présent sur les lieux du crime, contrairement à elle, aurait le don d’identifier les coupables.

Ce discours politique de Martine Moïse, à la fois populiste et fumeux, rappelle un Titid au plus haut de sa forme, quand il utilisait les codes du daki, sa langue tournée sept fois, pour jouer sur les cordes sensibles des émotions socialisées. Même en gardant tout le respect pour la douleur de madame de Moïse, on est en droit de trouver cela abject et indécent.

Avec les réseaux sociaux, l’indignation à portée de clic, ce n’est pas ce stratagème, ce masque permanent sur la vérité qui a le plus irrité. Mais le fait que le cercueil du président a été transporté à l’arrière d’un bus et que Martine Moïse a pu sourire à un trait d’esprit de l’opposant Jean-Charles Moïse, venu lui rendre hommage. Du coup, après cette cérémonie assez carnavalesque, il reste le défoulement émotionnel, les pneus enflammés et les tweets. Les questions n’ont plus d’intérêt puisque tout le monde a concocté sa petite hypothèse.

Et l’enquête ? On n’en sait rien. On sait en revanche que les eaux montent. Elles monteront quoi qu’on dise.

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