Après la dictature duvaliériste, on labellisait volontiers de « parole libérée », l’ensemble des voix sortant de nos postes de radio. C’était merveilleux. Un peu naïf, mais merveilleux. À l’ère Me too, les victimes que l’on écoute davantage qu’hier, célèbrent une parole qu’elles ont reconquise. Car la parole peut être confisquée par la dictature, le patriarcat et le fondamentalisme religieux.
Edito du jeudi 26 janvier 2023
Il existe toutes sortes de paroles, on le sait. La parole que l’on donne, la main sur le cœur. Celle que l’on trahit, un baiser sur la joue de l’autre, la bourse pleine d’espèces sonnantes et trébuchantes. Ce sont des paroles mythiques. Elles demeurent dans nos souvenirs, selon qu’elles nous sauvent ou nous jettent à terre, les dents brisées et l’âme en miettes.
Mais on se souvient aussi des paroles qui nous font rire. Certaines paroles n’ont ni queue ni tête, il faut l’avouer, et peuvent nous perturber longtemps.
On exècre la parole des politiciens. Parole en l’air. Parole pour endormir. Mais on l’écoute. Même quand elle est portée par le plus vil d’entre eux ayant massacré, volé. Même quand cette parole est un crachat en plein dans notre figure. Un mollard visqueux et immonde.
Après la dictature duvaliériste, on labellisait volontiers de « parole libérée », l’ensemble des voix sortant de nos postes de radio. C’était merveilleux. Un peu naïf, mais merveilleux.
À l’ère Me too, les victimes que l’on écoute davantage qu’hier, célèbrent une parole qu’elles ont reconquise. Car la parole peut être confisquée par la dictature, le patriarcat et le fondamentalisme religieux.
La parole, on peut simplement la perdre, suite à un choc ou du plaisir. Tous les Haïtiens ont depale au moins une fois dans leur vie, au fond de leur lit voire les yeux ouverts. La parole tafia, curieusement, n’est pas l’apanage des tafiateurs pas plus que la parole moun fou appartienne uniquement aux fous. Cette dernière peut aussi être celle des rêveurs, des ambitieux, des inclassables, qui, a tout boulin, comme une étoile filante, n’attendent pas sagement leur tour pour briller.
Il y a la parole que l’on prend lors d’une assemblée, une cérémonie, devant notre classe. C’est une parole toujours précieuse, parfois difficile. Mais elle est à nous, pour peu qu’on l’honore autant que ceux qui y prêtent attention.
Parole dous kou lasiwèl. Parole piman bouk. Des paroles de saveurs diverses et variées traversent le temps, si bien qu’on n'a pas toujours assez de bouches pour les mettre au jour. La parole est une devise inépuisable : on la donne, l’échange, la passe, la prête, l’économise. Certaines paroles modifient la réalité et ont un pouvoir illocutoire. Ce sont des actes tout bonnement.
Mais il y a une parole que notre langue vient tout juste de croiser. Cette parole, aux États-Unis, accordée aux criminels condamnés pour qu’ils soient libérés pour bonne conduite. A parole (en anglais pəˈrōl, dont l’un des sens est liberté conditionnelle) nous a été offerte, au titre d’urgence humanitaire. Et derrière, un discours de criminalisation des réfugiés, très occidentale et pigmentaire. Au-delà de cette parole migratoire conditionnelle, la hantise américaine d’«aliens» prêts à les envahir.
Selon le média indépendant Reveal News, sur plus de 66 mille applications au programme réalisées par des Afghans, seulement 123 auraient été approuvées entre le 1er juillet 2021 et le 1er août 2022. À l’inverse, 68 mille demandeurs ukrainiens sur 97 mille demandes auraient eu feu vert.
Qu’importent les chiffres, nous avons vite accepté. Elle remonte aux années 50 cette parole et ils l’ont déjà donnée à certains mineurs sud-américains, aux Cubains et tant d’autres.
Deux ans loin de notre île, de nos peines. Libres, enfin… du moins le croyons-nous. Inutile de nous le dire deux fois. Hier encore, quelqu’un a été enlevé par les gangs. Avant-hier, une fillette et sa mère ont été violées en réunion. La semaine dernière, un Premier ministre a proféré une parole tellement surréaliste que nous avons ri, les dents brisées et l’âme en miettes.
Francesca Theosmy
Comments