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Roberson Alphonse ou la figure incarnée du journalisme de rigueur en Haïti

Roberson Alphonse, on ne le présente pas. Du moins, on le présente plus. Il est passé de présentation. Au milieu de ses contemporains, l’homme est connu comme le loup blanc. C’est un ancien policier devenu journaliste, jurant que la liberté d’expression est le moteur de tous les droits humains. Le médiateur s’introduit dans le quotidien des gens à travers différents médiums. De sa belle plume au quotidien Le Nouvelliste à son appréciable voix au micro de la 100.9 et en mode plein écran au plateau de Télé 20, Roberson Alphonse se taille une réputation qui dépasse les frontières et se donne une légitimité sans conteste.



Cité-Soleil, 1er juillet 1976. Le soleil brille sur la naissance d’un enfant du nom: Roberson Alphonse. Naissant dans une famille modeste composée d’un père militaire et d’une mère qui offrait ses services à l’usine, le jeune enfant a vécu sa plus tendre enfance sous la dictature des “Duvalier”. Tout petit, et sans être pleinement conscient, Roberson développait une attirance pour la télé et la radiodiffusion. « Un soir de 1982 ou 1983, entre 8 heures et 9 heures, mes parents me cherchaient alors que j’étais chez le voisin en train de regarder la télévision », se rappelle-t-il, soulignant que son père, voulant mettre fin à cela, a décidé de l’acheter son propre appareil de télé.


Roberson Alphonse avait six ans au moment de sa belle rencontre avec la télévision. Aujourd’hui, il se rappelle encore du nom de toutes les émissions qui l’envoutaient et de tous les journalistes qui l’ont marqué. C’est à cette époque qu’il commença par courtiser l’information. « Mon premier contact avec l’information a été via une émission qui s’appelait Format 60. L’un des animateurs s’appelait Jean-Robert Simonise », nous raconte le journaliste de renom. Dans cette aventure, il a été bercé par deux présentatrices de télé, lesquelles ont attisé son goût pour l’information. « À la Télévision nationale d’Haïti, il y avait deux présentatrices qui m’ont marqué : Marie Héleine Blanchard et Dominique Staco ».


L’ancien directeur de l’Information à Tropic Fm raconte qu’à la chute du régime des Duvalier en 1986, il avait 10 ans. Danse triomphale de la liberté d’expression en Haïti, c’était le retour au pays des exilés de 1980 comme Jean Dominique et Liliane Pierre Paul. Ainsi, exposé à toutes les éditions de nouvelles de manière régulière, le jeune enfant a été inondé par l’information. Il se familiarisait déjà avec les grands noms de la presse. « À mon âge, je savais qui était Jean Dominique, Marie Héleine Blanchard, Dominique Staco et Liliane Pierre Paul. Et par la suite, j’allais faire la connaissance de Clarens Renois, Rotchild François Junior et d’autres journalistes qui m’ont marqué comme Robert Lodimus qui a travaillé à Radio Plus », s’enorgueillit-il.



Naissance d’une passion sans borne pour le journalisme


Au fil de ses contacts avec les médias, sa relation avec l’information allait développer une voix parfaite. Il développait de l’admiration pour les professionnels de la presse et des directeurs d’opinion. C’est de là qu’avait surgi sa passion pour le métier et commença par faire ses premières armes à la maison. « Le soir, je faisais des résumés de presse pour les gens du quartier qui étaient au travail », se remémore la voix de Panel Magik, émission diffusée sur Magik 9 tous les matins. Il se rappelle de l’un des événements qui l’ont poussé de manière très brutale sur ce chemin : la mort d’un bébé après le coup d’État du 30 septembre 1991.


Blanc, un forgeron qui habitait son quartier était sur le point de franchir la porte d’entrée de chez lui quand des militaires l’ont intimé l’ordre de démolir une barricade érigée sous la chaussée. Le voisin, raconte Roberson, a refusé en répliquant que ce n’était pas lui, l’homme derrière le blocage. « Il s’est déplacé. Les militaires ont tiré en direction de sa maison. C’est l’un de ses fils, âgé de 3 ou 4 ans à l’époque qui est touché. Son maxillaire inférieure a été arraché. Il est mort sur le champ. C’était un choc pour moi », raconte-t-il. Adolescent, Roberson Alphonse était non seulement intéressé par la diffusion de l’information, il trouvait, de la même veine et en son for intérieur, un mariage entre passion et devoir. Il voulait œuvrer pour le droit à l’information avec un parti pris pour les opprimés, les victimes de l’injustice et une plume qui résiste à la violence des bourreaux.


« À l’école, je lisais beaucoup, particulièrement les encyclopédies. Je lisais surtout des histoires sur la seconde guerre mondiale, l’extermination des juifs par les nazis », raconte-t-il à la rédaction de Enquet’Action. En plus de sa passion de la lecture, Roberson Alphonse avoue qu’il doit son sens de la narration à sa mère qui aimait raconter des histoires. « Ma mère avait un sens du récit extraordinaire », relate-t-il. Toutefois, il reconnaît que sa maman n’a jamais voulu que son fils devienne journaliste. La conviction de celle-ci était fondée sur le fait que le journalisme serait, selon elle, le métier de la mort.


Roberson Alphonse a intégré la Police nationale d'Haïti (PNH) en 1995. Mais, toujours est-il, sa mère avait, tout comme le journalisme, désapprouvé toute idée de faire une carrière dans cette institution. L’ancien policier raconte qu’il a fait ce choix par devoir. Pour servir son pays, mais surtout pour aider sa famille. Mais à la PNH, ni son arme de service ni tout l’arsenal de l’institution, rien n’arrivait à tuer sa passion pour le journalisme. Il a pris des cours par correspondance et a même réussi à faire deux écoles de journalisme au pays. Des écoles dirigées respectivement par Ady Jean Gardy et Jacques Roche, des journalistes de carrière.


«  Le 14 novembre 2000, j’ai écrit mon premier article, publié dans Le Nouvelliste. Le titre était «  Analyse de l’affaire de Carrefour-Feuilles ». « Pierre Manigat Junior m’a demandé si je voulais entré au journal par la grande porte », raconte-t-il. Roberson a aussi publié ses textes dans Le Matin grâce à son mentor, Ady Jean Gardy. Mais à côté des caprices de sa mère qui n’aimait pas la police, sa passion pour le journalisme l’avait arraché de son poste de garde. C’est là qu’il allait laisser la police en 2003 pour s’adonner au métier d’informer. « Je devais faire la part des choses. Je me suis dit que je serai beaucoup plus utile à la société en tant que journaliste », souligne-t-il.


Vers une carrière exemplaire


C’est Ady Jean Gardy qui a présenté le jeune Roberson au rédacteur en chef du plus ancien quotidien du pays, Le Nouvelliste. En 2000, il jeta ses premières plumes sur la toile. Ce voyage dans les annales de l’actualité l’a conduit, en 2002, à la salle des nouvelles de Tropic FM comme Directeur d’Information. L’une des stations qu’il adorait écouter quand il était petit. En 2005, il a intégré Le Nouvelliste. Le jeune et fougueux journaliste poursuit son chemin. La passion, rien que la passion. Sa passion pour le journalisme est boostée par son devoir de servir le monde. Dès le début, Roberson Alphonse est un journaliste qui aime poser les bonnes questions et partir à la recherche de l’information.


Le titre du premier article qu’il a signé en tant que reporteur au journal Le Nouvelliste était « Qui contrôle la prostitution en Haïti ? », en dit long sur la conscience professionnelle et citoyenne qui est la sienne. Il était surtout intéressé par les sujets d’importance capitale pour le pays. « À un certain moment, nous sommes arrivés à un basculement terrible de la violence. Opération Bagdad, kidnapping, meurtres. Je me suis retrouvé à couvrir ces sujets sensibles », explique Roberson, soulignant que les zones de couverture étaient tout aussi sensibles que fragiles.


Au sein de l’équipe du quotidien Le Nouvelliste, il gravit les échelons. Entre 2007 et 2008, il est promu directeur de l’information à Magik 9. Mais cette promotion n’a pas cassé ses ailes. Il a continué à s’intéresser aux sujets d’intérêt public et humain avec une préférence pour l’économie, l’environnement et la politique. « J’ai réalisé des reportages aux Gonaïves et montré des images de fosses communes où des victimes du choléra ont été inhumées », soulignant que certains de ces travaux, dont l’enquête financière sur le dossier Petrocaribe, lui ont valu la reconnaissance du Group Croissance.


Le travail continu, les reconnaissances se multiplient. En 2009, il a été élu journaliste professionnel de l’année par l’organisation SOS Journaliste et honoré par le ministère du tourisme haïtien. Puis, après le séisme de 2010, Roberson Alphonse a été invité par l’UNESCO à une conférence sur la reconstruction d’Haïti. Du même souffle, le 4 juillet 2012, le colonel Himler Rebu a adressé une lettre ouverte au journaliste talentueux. Ce, dans le but, le remercier et de le féliciter pour une émission menée le 30 juin 2012 sur les ondes de Magik 9. Une lettre qui encensait avec élégance et humilité, le professionnalisme du journaliste, la méthodologie de l’émission, les thèmes abordés, le choix des invités en mettant en avant les vérités que Roberson les a amenés à révéler à l’antenne.


Il ne s’agit pas de reconnaissances qu’un journaliste a voulu attirer en participant à un quelconque concours. C’est une forme de légitimité qui s’impose de par elle-même en raison de la rigueur avec laquelle il exerce son métier. Toujours est-il, en 2017, l’écrivaine haïtienne Emmelie Prophète a publié un texte titré : Roberson Alphonse, premier citoyen de la capitale du livre. Elle l’a écrit en vue d’honorer la volonté du journaliste à vouloir poser la première action lançant la capitale du livre. Laquelle initiative visait à laisser des livres dans des espaces publics à la disposition de n’importe quel usager en vue de promouvoir la lecture. Lui, le premier à avoir laissé un livre à Magik 9. « Roberson est aujourd’hui un pèlerin, un prêcheur pour le partage des livres », écrivait Emmelie Prophète, chroniqueuse - actuellement, ministre de la Culture et de la Communication.


« Le silence du président sur la disparition et possible assassinat de Vladjimir Legagneur est une prise de position. Il faut donner un acte au chef de l’État et arrêter de pleurnicher », a écrit Roberson Alphonse en 2018 sur son compte twitter. S’il n’a pas manqué une occasion de dénoncer les injustices et défendre les opprimés, Roberson Alphonse allait être victime, lui-même, de cette même violence. Une tentative d’assassinat le 25 octobre 2022. La veille, le journaliste a rédigé un texte pour dénoncer les massacres perpétrés sur les populations du village de Noailles à Croix-des-Bouquets et Bon Repos au nord de la capitale. Cette prise de position face à la violence armée n’est pas nouvelle. En 2006, il a rédigé ce titre : Du sang, encore du sang… Publié dans les colonnes du journal Le Nouvelliste.


« 2022 est une année difficile pour les journalistes. [Au moins] six ont été assassinés. Haïti se trouvait en deuxième position dans le classement de RSF en ce qui concerne les violences exercées sur les journalistes », rappelle le visage de l’émission Dèyè Kay sur Télé 20. Selon lui, cette attaque armée dirigée contre lui était une tentative visant à le réduire au silence. C'est aussi un assaut contre la liberté de la presse. Roberson reconnaît qu’étant touché physiquement et mentalement après cet acte de violence, l’expérience était dure. Mais, croit-il, il faut continuer à travailler. « Je continue parce que je ne pense pas que le silence soit une option. Faire silence c’est donner raison à ces gens qui se cachent derrière cette tentative », insiste le défenseur de la liberté d’expression.



Vers l’arc-en-ciel à l’horizon de la tempête


Le matin du 25 octobre 2022, Roberson Alphonse était en route pour reprendre ses tâches quotidiennes à la radio quand des hommes armés ont tenté de le tuer. Blessé par balle, il a lui même conduit son véhicule criblé de balles à l’hôpital. Le rescapé a dû fuir la vallée de la mort puisque, dit-il, il était impossible de déterminer qui est derrière cette attaque et comment il va s’y prendre la prochaine fois. Parce que, jusqu’à présent, l’enquête est en cours du côté des autorités policières. Mais, cette année difficile et douloureuse devait disparaître avec ses tristes réalités pour faire place à la lumière du soleil.


En 2023, Roberson Alphonse a été nominé par l’UNESCO au prix Guillermo Cano de la Liberté de la presse. Sa candidature a été soutenue par de nombreuses institutions et personnalités dans la région des Caraïbes. Le responsable de la rubrique actualités nationales au journal Le Nouvelliste n’a pas remporté le prix. Mais il croit que la nomination, qui traduit une forme de reconnaissance de ses travaux, était déjà, pour lui, une forme de satisfaction. La même année, il a bénéficié d’une bourse au programme Knight-Wallace de l’Université Michigan aux États-Unis d’Amérique. Une bourse accordée annuellement aux journalistes talentueux du monde pour profiter des expériences et opportunités de faire des projets intéressants dans le cadre de leur métier.


Alors que le Knight-Wallace 2023-2024 n’est encore arrivé à son terme, c’est aux États-Unis que Roberson Alphonse a appris la nouvelle de sa nomination au prix courage de Reporters Sans Frontières (RSF). Cette activité, qui en est à sa 31e édition, récompense chaque année, des journalistes pour leur courage, leur parti pris et leur combat pour la liberté de la presse et l’impact de leurs travaux dans le métier. « Les nominations sont pour moi une forme de victoire. Une forme de reconnaissance. C’est aussi une possibilité de mettre le projecteur sur Haïti », réagit le boursier de l’Université de Michigan, soulignant que mettre le projecteur sur Haïti, c’est mettre la lentille sur les journalistes assassinés, ceux et celles qui exercent le métier malgré l’adversité.


Roberson Alphonse, au lieu de s’éterniser sur une discussion sur sa reconnaissance internationale préfère s’en servir comme prétexte pour exprimer ses préoccupations par rapport à l’exercice du métier de journaliste en Haïti et ses inquiétudes face à la longue crise qui secoue le pays. Il soutient que toutes ces nouvelles, tous ces événements doivent appeler à l’action. « … La nécessité pour que chacun ramasse ses forces et fasse les sacrifices nécessaires pour Haïti. Sans sacrifices, sans courage, le pays ne pourra pas sortir de ce bourbier », poursuit-il dans son plaidoyer. « Il est temps, ajoute-t-il, de penser aux générations futures et de faire les sacrifices nécessaires pour laisser un pays vivable qui n’est pas cet espace fragilisé, ruiné par les tremblements de terre, la pauvreté, l’absence de politique publique ».


Si le natif de Cité-Soleil appelle à l’action pour sauver les générations futures, il croit qu’il est aussi, en même temps, d’une belle nécessité de partir à la reconquête de la dignité nationale et construire un pays à la dimension des sacrifices de nos grands-parents. « Nos grands-parents nous ont légué cette terre. Nous avons été très indignes de leurs sacrifices. Aujourd’hui, il faut partir à une reconquête, d’un minimum de dignité en pensant aux générations futures », termine-t-il.


Rigueur, passion et professionnalisme… Roberson Alphonse, est le journaliste de l’année en Haïti.


Jean Robert Bazile


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