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Source-Matelas : un an après le massacre, Martinez peine à retrouver une vie normale

Le 19 avril 2023, le gang de Canaan a envahi Source-Matelas, une localité de la commune de Cabaret, au nord de Port-au-Prince. Selon les chiffres officiels, plus d’une centaine de personnes ont été assassinés. Ce fut l’un des massacres les plus meurtriers du pays dans cette nouvelle ère de violences des gangs. Une année plus tard, les rescapé.es ne sont pas toujours rentré.es chez eux.elles. Martinez, l’un d’entre eux, ne s’en est pas encore remis du drame. « Ce fut le pire moment de ma vie », continue-t-il de relater.




Un mouvement de protestation des rescapé.es de Source-Matelas pour déloger les bandits, 10 jours après le massacre du 19 avril 2023. Image internet.



Reportage


Treize mois se sont écoulés mais Martinez, nom d’emprunt, est encore sous le choc. Il suffit d’une simple conversation avec un ami pour que le jour le plus terrible de sa vie refasse surface. Cet informaticien, la trentaine, a failli mourir lors du massacre du 19 avril de l’année dernière à Source-Matelas, localité de Cabaret à une trentaine de kilomètres au nord de Port-au-Prince. Rien ne laissait entendre qu’il allait vivre une journée d’horreur. « Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. On s’était toujours dit que s’il n’y avait pas eu d’attaque en soirée, ce n’était pas en pleine journée qu’il y en aurait eu. De plus, les brigades de vigilance avaient barricadés certaines artères de la zone en signe de prévention. En toute tranquillité, je parlais avec des amies en pleine rue », se souvient-il.


Contre toute attente, les tirs nourris se sont fait entendre. La panique s’est vite installée dans le quartier. Les résident.es ont commencé à tomber sous les balles. Des maisons furent incendiées avec leurs occupant.es. « Avec deux amies, j’ai dû prendre refuge dans une entreprise funéraire», se rappelle Martinez.


Les brigades de vigilance avaient barricadés certaines artères de la zone en signe de prévention contre un éventuel assaut des gangs.

En moins de 24 heures, Taliban, le gang de Canaan, avec le soutien de celui de Village de Dieu, a assassiné au moins une centaine de personnes à Source-Matelas, selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH). Objectif : punir la population de cette localité qui avait érigé des barricades dans la zone après un premier massacre ayant couté la vie à au moins 73 personnes, en novembre 2022. « Entre moi et la mort se trouvait l’entreprise où je me suis réfugié puisque les hommes armés étaient postés devant, cherchant qui tué. L’une des personnes réfugiées avec moi était avec son nourrisson. Un seul cri du bébé était synonyme de fin pour nous. Elle a dû laisser son sein dans la bouche de l’enfant pour l’empêcher de faire le moindre bruit », nous raconte le miraculeux, la gorge nouée.



29 mars 2023, inauguration d’un mémorial en l’honneur des victimes du premier massacre qu’a connu Source-Matelas. Moins d’un mois après la cérémonie, le second massacre eut lieu.  CP: Page Facebook Source Matelas News.


Le rescapé n’est sorti de sa cachette que le lendemain pour fuir la zone bondée de cadavres dont plusieurs ont été carbonisés. « Nous sommes entrées dans l’entreprise funéraire vers 10 heures du matin pour en ressortir le lendemain vers 7 heures du matin. Donc, nous sommes pratiquement restés cachés pendant 21 heures. Ce fut le pire moment de ma vie. Je ne souhaite pas revivre un moment pareil », souligne, d’une triste voix, celui qui a vécu quatre ans à Source-Matelas.


Le massacre du 19 avril avait pour objectif de punir la population de Source Matelas qui avait érigé des barricades dans la zone.

De refuge en refuge

 

Le 20 avril 2023, tôt dans la matinée, Martinez a laissé sa maison et son entreprise à Source-Matelas pour ne plus y revenir tout comme les autres rescapés. Aujourd’hui, avec sa femme et son fils, il est logé dans une autre localité de Cabaret. C’est son cinquième refuge en 12 mois. « Le jour du massacre, mon fils de 6 mois d’alors était avec ma femme dans la ville de Cabaret. Je suis allé les retrouver. Nous nous sommes ensuite rendus à Arcahaie, une commune voisine. Après quelques mois, nous sommes allés vivre à Bon Repos (Croix-des-Bouquets). Le gang de Canaan y a fait irruption. Nous avons dû aller à Delmas pour ensuite revenir à Bon Repos avant de revenir ici, à Cabaret», explique-t-il.


Dans cette nouvelle vie de Martinez marquée par une perpétuelle migration, les difficultés économiques sont très présentes. Prendre soin de sa famille, loin de leur maison, sans emploi, une difficile équation pour le rescapé. « Vivre chez une personne et vivre chez soi, sont deux chose différentes. Si au départ l’accueil est chaleureux, tôt ou tard il ne le restera pas », précise celui qui était économiquement stable avant les évènements du 19 avril 2023.


En effet, à Source-Matelas, Martinez tenait, depuis 2021, une entreprise avec un ami. C’était le premier et le seul espace du quartier qui offrait des services d’impression sur papier, de photocopie et de traitement de texte. « Cela m’a permis de prendre un élan significatif. Je pouvais me procurer sans problème cinq, 10 et même 50 mille gourdes (plus de $300 américains) en peu de temps. Ce qui est à présent différent », fait-il savoir. Depuis janvier dernier, Martinez n’a aucune activité économique. Sa femme, une enseignante, elle, depuis février.


« Jusqu’à aujourd’hui, nous ne sommes pas chez nous. Nous vivons à la merci des autres alors que nous avons un enfant à nourrir. Ce qui n’est pas une mince affaire. Ça peut arriver que moi et ma femme passons une journée sans rien prendre mais on doit s’assurer que notre fils trouve quelque chose à manger », nous confie-t-il.


Martinez a connu cinq refuges en 12 mois.

L’espoir d’un retour certain à la maison 


A Source-Matelas, Martinez était très impliqué dans le social. Il était membre de plusieurs structures citoyennes qui voulaient mettre le quartier sous les projecteurs tout en offrant aux jeunes des métiers manuels. « On les a initiés au macramé et à la fabrication de produits de lessive pendant plusieurs semaines. Nous chérissions l’idée de créer une grande association de jeunes », fait-il savoir.


Selon l’informaticien, le quartier faisait bon de vivre et offrait de multiples opportunités. Il était facile de se faire un peu d’argent en toute dignité. «Avant qu’il soit vidé de ses résident.es, Source-Matelas était en construction. Donc, électriciens et maçons ne chômaient pas. N’importe qui pouvait offrir ces services comme journalier dans l’une des grandes entreprises de la zone », explique-t-il. 


En dépit de l’horreur vécue 13 mois auparavant, Martinez rêve d’un retour à Source-Matelas, le quartier qui lui a tout prix mais qu’il chérit encore. Il nourrit l’espoir que ce repère de gang, l’un des nombreux territoires perdus du pays, redeviendra le paradis où il a vécu. « J’attends que la situation du pays redevienne à la normale pour retourner chez moi », conclu-t-il. 



Jeff Mackenley GARCON

Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.

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