L’État haïtien a déjà délivré de manière irrégulière une cinquantaine de permis d’exploitation ou d’exploration minière à pas moins de quatre compagnies multinationales concernant 15 % du territoire national, s’étendant notamment le long d’une chaîne de montagnes traversant le nord du pays. Face à cette macabre réalité, depuis 2019, « la Universidad Itinerante de Resistencia » (l’Université Itinérante de la Résistance - UNIR), s’évertue à renforcer les organisations locales dans leur lutte contre l’extraction minière.
Ce programme aux origines latino-américaines appuie les organisations qui luttent contre les sociétés minières en Haïti par le biais de l’éducation populaire liée à l’exploitation minière. « La Universidad Itinerante de Resistencia » (l’Université Itinérante de la Résistance - UNIR) offre à ces avant-gardistes un outil pédagogique de qualité appelé ‘’ 50 kesyon sou min, 50 questions sur les mines en français’’. « C’est une collection des différentes questions ou préoccupations des communautés par rapport à l’extraction minière en Haïti mise sous un format assez simple pour leur appropriation par les communautés », explique Frantz Brizart, collaborateur du programme Universidad Itinerante de Resistencia (UNIR).
L’outil pédagogique de l’UNIR est présenté sous forme de jeu de cartes, divisé en quatre catégories. La première donne des informations sur la situation minière en Haïti. La deuxième aborde globalement les informations sur la question minière. La troisième aborde l’expérience des communautés avec les compagnies minières. La dernière parle de l’impact des mines sur les humains, sur la vie, sur l’environnement, sur les animaux. « Cet outil a pour but de conscientiser les gens sur ce qu’est l’exploitation minière dans un pays où l’État travaille avec les compagnies multinationales sans se soucier de mettre les informations disponibles pour les communautés où sont exploitées les mines », soutient le sociologue.
L’outil pédagogique (50 kesyon sou min) que l’Universidad Itinerante de Resistencia met à la disposition des organisations montre le désastre que l’extraction minière traîne derrière elle. Frantz Brizart dit qu’il suffit de se référer au passé pour savoir si c’est un projet porteur de développement. « Il y a des mines dans toute l’Amérique latine. Le Mexique en a plein avec pour résultat des conflits miniers, des déplacements en quantité, un environnement contaminé, des personnes privées d’eau, des maladies incurables, augmentation des guerres de gangs, destruction de la vie », détaille-t-il.
L’expérience UNIR dans les détails…
En plus de l’outil pédagogique, l’Universidad Itinérante de Resistencia (UNIR) offre un cours d’espagnol aux membres d’organisations luttant contre l’extraction minière en Haïti. Les partenaires délèguent des représentants en fonction de leur besoin en langue espagnole pour s’informer davantage sur la question minière. Cette initiative veut briser la barrière linguistique existant entre les organisations haïtiennes et celles des pays latino-américains parlant l’espagnol. « 19 des 21 pays parlant l’espagnol à travers le monde sont nos voisins. Et plus proches de nous, nous avons la République dominicaine. Les luttes que mènent les organisations haïtiennes en ce qui a trait à l’extraction minière bénéficient grandement de l’expérience et d’un partage de connaissances des autres organisations de l’Amérique latine travaillant dans le même sens », explique Frantz Brizart.
L’autre axe d’intervention de l’UNIR est l’organisation d’ateliers de vulgarisation, des conférences universitaires, des ateliers avec des étudiants dans le cours d’espagnol sur les mines. « Nous avons déjà réalisé 4 ateliers de formations sur le terrain où l’on prévoit d’exploiter les mines avec une soixantaine de personnes dans 4 communautés comme Lakwèv [commune Mont-Organisé, département du Nord-Est], Kadouch [commune Quartier-Morin, Nord], Terrier rouge [Nord-Est] et Masabyèl [Limbé, Nord] » précise celui qui offre ses services à UNIR.
Ces personnes ont pour obligation de répliquer ces ateliers avec d’autres personnes. UNIR leur demande généralement un quota de 10 participants. « Elles en font beaucoup plus vu la demande des communautés qui ont des questions pertinentes sur les mines », avoue Frantz Brizart en précisant que le programme a eu des difficultés d’implantation. Difficultés liées aux contextes d’évolution des organisations locales.
Bien que l’Universidad Itinerante de Resistencia s’efforce de fournir aux structures locales les informations sur les mines, le programme laisse aux communautés le choix de décider de la suite. « UNIR ne leur dicte rien en ce sens. C’est aux communautés de décider ce qu’elles vont faire de ces informations. En ce qui a trait au rôle de l’État, cela a aussi à voir avec elles aussi. Lorsqu’elles auront les expériences et les formations nécessaires, elles seront en mesure de discuter avec l’État », souligne le sociologue Frantz Brizart.
Les organisations sociales à l’avant-garde
Les organisations de la société civile haïtienne sont nombreuses à lutter contre l’industrie minière en Haïti. Elles ne cessent de dénoncer le fait que les sociétés minières font des forages sur des terrains privés sans l’accord préalable de leurs propriétaires. Jusqu’à 2015, pas moins de quatre grandes compagnies multinationales nord-américaines ont pu obtenir des permis d’exploration et/ou d’exploitation. Il s’agit de : Eurasians Mineral inc., Newmont Mining Inc., VSC Mining Inc. et Ressources Majescor Inc.
« 4 grands multinationaux, ayant des ramifications, travaillent au côté de l’État tout en boudant le cadre légal qui aurait dû les empêcher de commettre des dérives. Elles entrent dans des communautés sans avertir les membres de ces communautés et leur mentent afin d’exploiter les mines », expose M. Brizart. Le collaborateur de l’UNIR dit n’être pas certain qu’Haïti pourrait faire la différence. Il fait référence aux impacts de l’exploitation des mines pour défendre sa position.
« L’exploitation des mines métalliques détruit la vie. Ce qui implique la destruction de la terre en creusant d’énormes trous jusqu’à 300 mètres de profondeur. Rien n’est possible dans ces espaces. C’est détruire l’eau, détruire les animaux, les forêts. La mine renverse l’ordre des choses », argumente-t-il en précisant que l’impact minier va beaucoup plus loin. Frantz Brizart tire la sonnette d’alarme également sur les retombées du travail des sociétés minières sur les zones rurales et les villes. Il dément ce qui pense que l’impact minier dans les zones rurales n’affectera pas les zones urbaines. Il cite la géographe française Sylvie Brunel pour s’expliquer.
« Lorsque la mine va donner des turbulences en milieu rural, les gens vont se déplacer vers la ville pour se nourrir et pour y vivre. Ce qui engendra immédiatement deux problèmes. Le milieu rural aura perdu une main-d’œuvre qui produisait pour la ville. Il y aura plus de bouches à nourrir dans cet espace où la nourriture devait arriver », prévient le sociologue. Une situation qui, selon lui, aura pour conséquence l’exode rural, la surpopulation dans les villes, et la pauvreté massive entre autres.
L’Amérique latine, incluant Haïti, sous pression minière
L’apparition du BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud) dans le monde industriel a nécessité plus de demandes de matières premières provenant de l’exploitation minière. La pression engendrée pèse lourd sur l’économie de l’Amérique latine qui a plusieurs gisements de métaux précieux. « Les pays qui subissent cette pression sont considérés comme pays pauvres, pays sous-développés. Et dans notre cas en Haïti, cela concerne les métaux précieux. Surtout l’or », précise Frantz Brizart.
Les données dont dispose le sociologue montrent que l’exploitation minière en Amérique latine qui était à 27 % dans les années 80 est passée à 40 % au XXIe siècle. Et au niveau mondial, le budget lié à cette activité a augmenté de plus de 50 %. Cet appétit fait suite à la crise mondiale de 2007. « Il y a toute une série de leçons que les grandes compagnies multinationales ont su tirer de la crise de 2007. Elles ont remarqué que l’or est une réserve qu’elles peuvent utiliser mis à part la mainmise qu’elles ont faite sur les réserves alimentaires et les [autres] ressources naturelles », analyse le sociologue Brizart.
La crise a permis aux compagnies multinationales de recourir aux métaux précieux, à l’or en particulier qui peut être conservé jusqu’à 400 ans, comme domaine de réserve. Un contexte ayant facilité la croissance des industries dans le monde qui a donné à l’Amérique latine, en particulier, le rôle de producteur de matières premières.
Jeff Mackenley GARCON
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