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Vers la valorisation et l’exploitation du fruit à pain en Haïti

Apprécié par certains, méprisé par d’autres, le fruit à pain est classé au second rang dans la cuisine haïtienne. Il constitue pourtant, un aliment riche en glucides, fibres et nutriments essentiels comme les vitamines et les minéraux.


Pour 1,5 million d’arbres à pain, le pays produit 50 mille tonnes de fruits à pain. L’Organisation internationale du Travail (OIT) voit en cette denrée un atout majeur pour la production nationale pouvant également jouer un rôle crucial dans la lutte contre l’insecurité alimentaire en Haïti.


Reportage


Au cœur de Pétion-Ville, dans un hôtel très fréquenté, les multiples recettes du fruit à pain sont exposées aux yeux de tout le monde. Des marinades, des papitas… de diverses variétés de fritures à base de fruit à pain s’étalent en compagnie d’une chiquetaille épicée et d’une sauce pimentée. Nous sommes à la journée de valorisation du fruit à pain.


L’odeur des recettes attise l’espace et les narines. Autour de cette table garnie, des gens désireux de déguster le fruit à pain font la queue. « Ça sent bon ! J’ai hâte de goûter le fruit à pain », s’impatiente Smith Pierre-Jean, l’un des participants. « Prends-moi une fourchette s’il vous plait », demande-t-il à l’un de ses amis. Sourire aux lèvres, il se dirige vers la table. « L’heure est à la dégustation », ricane-t-il.


Smith n’a pas l’habitude de consommer le fruit à pain, laisse-t-il croire. « Mes amis sont journalistes. Ils ont reçu l’invitation de participer depuis ce matin à l’atelier sur la valorisation du fruit à pain. Et, je viens avec eux par curiosité. Car, cet aliment n’est pas mon préféré », lâche M. Pierre-Jean. Toutefois, il se montre apte à savourer les recettes pour la toute première fois.


Contrairement à Smith, le fruit à pain est l’aliment préféré de Josué Merisier, un autre participant de l'événement. Natif de Jérémie, ce dernier avoue qu’il consomme abusivement ce produit. « Qu’il soit bouilli, frit, je mange beaucoup le fruit à pain. Parmi les diverses recettes, j’apprécie tellement le “Tonmtonm”, car il représente même notre identité et notre fierté à Jérémie », lâche fièrement le jérémien, assis sur une chaise, son plat de fruit à pain en main.


Rencontré sur les lieux, Fabrice Leclercq, conseiller technique principal de l’Organisation internationale du Travail (OIT), ne cache nullement la vision grandiose derrière cette exposition. Il veut à tout prix imposer le fruit à pain dans le paysage gustatif haïtien. « Ce produit doit-être éparpillé dans le pays et s’installer convenablement dans la cuisine haïtienne », lâche-t-il, d’un air confiant.


Le conseiller révèle que l’OIT réalise cette journée promotionnelle sur le fruit à pain en vue de sensibiliser et de convaincre beaucoup plus de gens possible à tourner les yeux vers ce fruit. « Bien que toutes les personnes inscrites ne soient pas présentes physiquement, mais le potentiel, la qualité sont là. L’intérêt qui anime les participants et les intervenants est là. C’est une journée très spéciale », affirme Fabrice Leclercq tout en se vantant de la réussite de l’évènement.


Lequel a eu la présence de M. Odney Pierre Ricot, ministre haïtien des Affaires sociales et du Travail, de Mme Ulrika Richardson, représentante spéciale adjointe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) et d’un panel de spécialistes de la nutrition, de développement économique, de développement industriel.


Le Fruit à pain et ses potentialités enormes


Le fruit à pain est un féculent, dépourvu de gluten. Il est riche en glucides, fibres, vitamines et en minéraux. L’Organisation internationale du Travail (OIT) le considère comme une culture majeure, pouvant jouer un rôle crucial dans la santé alimentaire et économique d’Haïti. Selon les estimations de l’OIT, le fruit à pain constitue une ressource potentielle importante pour les agriculteurs. Ces plantations nécessitent peu d’entretien tout en offrant un rendement élevé de fruits.

Même si Smith Jean-Pierre marque à peine son entrée dans la consommation du fruit à pain, il encourage déjà les gens à consommer cet aliment mis, selon lui, au second rang dans la cuisine haïtienne. « Auparavant, je ne voulais même pas entendre parler de l’arbre à pain. Mais, aujourd’hui, je découvre la vraie face de ce produit. J’ai pratiquement goûté toutes les recettes. Elles étaient toutes délicieuses. Déjà, j’invite tout le monde à apprécier et déguster la saveur de ce fruit. Personne ne sera déçu », insiste-t-il pertinemment.


L’entrepreneur Maxwell Marcelin pense que le véritable potentiel de la farine locale à base de fruit à pain, de manioc et de patate douce du pays est caché. Selon lui, l’exploitation de cette denrée serait un atout pour la production nationale et un substitut aux farines locales. « Il serait une opportunité indéniable pour le pays de faire face à la hausse des prix sur les marchés internationaux et une réponse directe face au gaspillage des produits agricoles », explique M. Marcelin. Il pense, entre autres, qu’une consommation outrancière de ce fruit est nécessaire du côté haïtien.


La valorisation du fruit à pain et ses dérivés est pour Maxwell le meilleur moyen de soutenir la culture de l’arbre à pain en Haïti. Il plaide pour l’élargissement de la production de cette denrée. « On doit trouver des entrepreneurs modernes afin de développer des synergies collaboratives tout en favorisant l’investissement. Il faut créer et supporter de jeunes agrégateurs et des femmes pour combler les maillons manquants. On doit nécessairement monter des réseaux de producteurs modernes et certifiés », recommande-t-il dans son allocution au terme de cette journée de valorisation du fruit à pain.


L’homme d’affaires souligne par ailleurs qu’il est crucial de trouver des bailleurs moins timides à l’égard des intéressés du secteur privé voulant participer à l’évolution de la production du fruit à pain.


Vers la valorisation et l’exploitation du fruit à pain ?


Pour encourager la culture du fruit à pain dans le pays, l’OIT développe déjà un partenariat avec le Programme alimentaire mondial (PAM) au niveau de la Grand’Anse, révèle Fabrice Leclercq, son conseiller technique principal. « Notre objectif c’est d’établir dans un premier temps les cantines scolaires dans la région de la Grand'Anse », dévoile M. Leclercq tout en précisant que c’était plus facile pour l’OIT de démarrer ce projet dans cette région du pays. Après, ce sera le tour des autres départements.


« Lorsque nous aurons bien maîtrisé à la fois la quantité, la logistique et tous les éléments importants nous permettant d’assurer une meilleure livraison régulière de ce produit, nous allons couvrir beaucoup plus d’espace », rassure avec confiance le conseiller de la structure international. Toutefois, Fabrice Leclercq précise qu’avec ce programme, l’OIT ne peut pas être partout et efficace à la fois. « C’est ce qui a pour l’instant justifié notre présence dans la Grand'Anse. De plus, le bailleur qui nous finance souhaite qu’on reste encore dans le grand sud du pays », affirme-t-il.


Il précise que ce projet est destiné aux Haïtiens sur tout le territoire national. Aucune exclusion n’est envisageable. « Si nous avons eu suffisamment de financement, nous aurions déjà répliqué le projet aussi dans le Grand Nord du pays. D’ailleurs, nous travaillons déjà dans le Grand Nord précisément au Cap-Haïtien, à Ouanaminthe dans le domaine textile et dans les parcs industriels », informe M. Leclercq.


Le conseiller technique principal de l’OIT dit vouloir progresser de manière gérable. « On va devoir attendre la deuxième phase du projet d’ici l’année 2024, pour toucher le maximum de communes possible. Nous aimerions nous étendre à davantage de communes. Car, notre plan c’est de passer de 1000 à 3 mille producteurs comme bénéficiaires directs », indique-t-il. Pour l’instant, l’OIT a déjà enregistré plus de 6 mille producteurs sur sa plateforme d’intelligence logistique.


En vue d’élargir son plan d’action sur Haïti, la structure internationale a déjà entamé des discussions avec le Fonds International de Développement agricole (FIDA). Ce dernier prévoit un financement pour la région du sud-est d’Haïti. « Nous sommes en train de voir comment on pourrait répliquer l’approche du projet “Profit” que nous avons développé dans la Grand’Anse pour le redressement d’autres chaînes de valeurs aussi dans le sud-est du pays », rassure fermement M. Leclercq.


L’OIT, ayant déjà effectué la fermentation du cacao et la transformation du fruit à pain, compte poursuivre dans le domaine du renforcement de la capacité de tous les acteurs. « Nous agissons plutôt sur l’aspect technique, sur l’outillage et le matériel pour aider les producteurs à améliorer leurs productivités. Et, nous souhaitons augmenter davantage la capacité des acteurs institutionnels comme la Direction agricole de la Grand'Anse et les bureaux avec lesquels nous souhaitons collaborer notamment pour la poursuite de la plateforme d’intelligence logistique », avance le conseiller technique spécial.


L’arbre à pain un atout économique ?


Selon les données statistiques datant de 1999, en Haïti, la production de l’arbre véritable était estimée à environ 50 mille tonnes. Quelques années plus tard, soit en 2007, elle a connu une baisse d’environ 40 mille tonnes. L’économiste, Enomy Germain, attribue cette période de chute plutôt à des causes environnementales. « Cette descente était inévitable avec le phénomène de déforestation enregistré dans le pays au cours de cette période, notamment dans le département de la Grand’Anse », précise-t-il.


Plus récemment, poursuit l’économiste, les statistiques du ministère de l'Agriculture laissent croire qu’il y a environ 1,5 million d’arbres à pain en Haïti et que le pays produit, par année, 50 mille tonnes de fruits à pain. À raison de 300 dollars US la tonne, avec la production du fruit à pain, le marché peut peser autour de 15 millions de dollars américains. « Les pertes postes-récoltes du fruit à pain sont estimées à 80 % de la production totale. Cela revient à dire, si on produit 50 mille tonnes, 40 mille se sont gaspillées », avance M. Germain.


Selon l’économiste, en dépit de ces pertes, la filière de la production du fruit à pain peut stimuler la croissance économique. « Il n’y a pas de statistique exacte sur les emplois dans cette filière, mais on est convaincu qu’elle peut générer des dizaines de milliers d’emplois saisonniers », estime-t-il.


Enomy Germain dit constater que ce produit est sous exploité dans le pays, sa transformation est non organisée et ne fait pas encore l’objet d’une véritable politique économique alors qu’il peut être transformé en plus de 20 produits alimentaires. « Étant le 4e pays inflationniste de la région, ce produit peut fortement participer à la baisse de l’inflation en Haïti. Pour ce faire, on doit augmenter l’offre alimentaire. Aussi, doit-on effectuer la demande des produits substituables tout en remplaçant des intrants importés », analyse le professeur de macro-économie.


De son côté, le doyen de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement de l’Université Quisqueya (UniQ), Gaël Pressoir, pense que la quantité maximale d’eau que contient l’arbre véritable pose vraiment problème au processus de sa conservation. « Contenant environ 75 % d’eau, ce fruit mûrit très vite. Il devient un peu difficile de le conserver. C’est pourquoi dans le pays, les pertes postes-récoltes sont énormes », constate-t-il avec peine.


Entre-temps, au niveau de l’UniQ, M. Pressoir informe qu’il est en train de travailler sur de nouveaux produits liés à l’arbre véritable, tout en créant de nouveaux débouchés, fait-il savoir.


En dépit de tout, l’entrepreneur Maxwell Marcelin reconnaît qu’Haïti a une forte potentialité en arbre à pain. « Le fruit à pain peut certainement jouer bénéfiquement sur les facteurs économiques du pays, si on gère sa conservation et sa transformation », estime l’homme d’affaires qui ne voit pas de bon œil le gaspillage de cette denrée.


Pierre-Samuel MARCELIN

Ce projet de contenus a eu le support de l’IFDD/OIF.

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