Depuis quelques mois, une page s’impose sur Facebook. Derrière elle, une voix, un visage et une parole. Il parle, agite et provoque. Il se taille un nom sur la toile. C’est Dieunou Maurice. L’homme ne jure que par son chapeau de simple « Fanatik ».
Pourtant, les gens qui le suivent le voient comme un franc connaisseur dépassant le cadre d’un commun des mortels. De là, il est devenu mystérieux et attirant. Menaçant et élégant à la fois. L’homme suscite déjà des querelles dans les espaces discursifs autour de la musique haïtienne.
Qui est ce Dieunou Maurice ? Enquet’Action est allé à sa rencontre.
Si la légende de Zonefanatik refuse de se présenter comme un professionnel de l’information, il est pourtant journaliste de formation. Après ses études classiques à Port-de-Paix, dans sa ville natale, Dieunou Maurice est entré à Port-au-Prince. Il a étudié le journalisme, on est en 2009. Puis, il est reparti dans le Nord'est pour commencer des études en droit. Le jeune Dieunou a abandonné l’aventure pour le simple fait que tous ses amis.es étudiaient le droit en même temps. Il s’est orienté vers la théologie. Mais sa relation avec l’église a changé le cours des choses.
« J’ai débuté un cursus en théologie tout en étant animateur de radio, mais l’église n’a pas vu cela d’un bon œil. Ils ont voulu que je fasse un choix. J’ai choisi de rester à la radio », explique Dieunou Maurice, confiant qu’il s’est enfin inscrit en Communication dans une université de la place. Études qu’il allait par la suite laisser tomber pour embrasser une licence en Compatibilité. Si Dieunou a laissé ses études en sciences juridiques pour éviter de faire le même choix d’études que ses amis.es, il a paradoxalement abandonné la Communication en deuxième année parce que ses proches camarades se sont tous orientés vers les sciences administratives et l’économie.
Après ses études en Science comptables, Dieunou Maurice a quitté le pays en 2014. Arrivé en France, il a étudié la Gestion, puis s'oriente vers un master en Management et logistique. Ce parcours l’a conduit à une étude doctorale en Psychologie sociale et cognitive. Par la suite, deux études faites dans le champ de la musique. « Toute ma construction en termes d’appréciation en rapport avec la musique a été faite suivant le travail des médias du pays. Je me suis rendu compte que la musique est dans un état déplorable. Il y a toute une série de questions que je me pose dont je n’ai jusqu’à présent pas leurs réponses », avance-t-il, justifiant les raisons qui lui ont poussé vers des études ayant rapport avec la musique.
Tout compte fait, les études ne laissent pas indifférent le natif de Port-de-Paix. « J’ai réussi à comprendre un tas de choses concernant la musique que malheureusement ceux qui la fabriquent en majorité n’utilisent pas ou du moins, ne portent pas attention à ça », témoigne-t-il. Si Dieunou a maintenant les réponses à ses questions, il ne compte pas les garder à lui seul. Il cherche à combiner connaissances et expériences pour porter un discours sur la musique haïtienne. « Partir de ce constat, je me demande ce que je peux faire moi-même. Étant donné mes expériences dans les médias à Port-de-Paix, je me suis dit que je peux distribuer la parole », confia-t-il avoir décidé.
Une frustration mise au service de la communauté
Dieunou Maurice est un grand consommateur de musique haïtienne. Il remet toujours en question ce que font les acteurs de cette musique qu’il considère comme un bien commun. Il est grandement préoccupé par le discours construit autour de la musique et le mode d’appréhension de ces discours par les consommateurs. Des questions et constats ont fait agiter dans son for intérieur une frustration. « Zonefanatik est le résultat d’une frustration », raconte-t-il.
C’est cette énergie qu’il a dû transformer en sang neuf dans les débats sur la musique et en vue de permettre la construction d’un nouvel espace d’échanges et d’apprentissage au service des générations.
Mais en fait, si Zonefanatik a pris cette allure, c’est, dans une certaine mesure, une déviation de l’objectif de départ. Il a voulu mettre sur pied cette plateforme en vue de toucher les jeunes d’entre 16 à 19 ans. « J’ai toujours dit que dans ma génération, on a déjà nos habitudes. Au lieu de mettre du temps à convaincre des gens ayant déjà un discours tout fait sur la musique », explique Dieunou Maurice, détaillant son souci de former les générations futures en vue d’aboutir à une génération de fanatiques beaucoup plus éclairé.e.s que nous autres.
Effectivement, Maurice a débuté cette aventure en 2018 avec son téléphone portable, mais il n’a pas réussi à gagner le cœur de son public de rêve. « Par le fait que dans le cadre de mes études en France, j’étais contraint d’enseigner à l’université, je réalisais mes vidéos sur le même format du déroulement des cours à l’université. Ce qui fait qu’au lieu d’attirer les gens, je les ai repoussés », avoue-t-il, reconnaissant avoir été trop théorique et parfois incompréhensible.
Si au cours de sa première année les vidéos ayant la plus large audience ont totalisé pas moins de 26 vues, au moment où nous rédigeons ce texte, le nombre d’abonnés et de vues est en train d’exploser. « Ces douze derniers mois, j’ai réussi à mettre le contenu dans un format accessible à tous », souligne le fondateur de Zonefanatik. En plus des jeunes, Dieunou met des discours contradictoires dans le rang des adultes. « L’idée c’est que nous puissions être habitués à faire des échanges même si c’est parfois tendu entre nous. Non pas pour se mettre d’accord sur tout, mais de préférence pour enfin découvrir sur quoi l’on n’est pas d’accord », souligne-t-il.
Provoquer pour déconstruire…
Ceux et celles qui suivent avec attention la montée de Zonefanatik sur les réseaux font l’éloge du discours de Dieunou Maurice. Si certains parlent de la profondeur de son verbe, d’autres y voient une parole nouvelle, éclairée, porteuse de sagesse et qui se diffère des autres. En dépit de ses analyses savantes et de ses argumentaires mélangés de philosophie et de psychologie, Dieunou reste mordicus sur le fait qu’il serait simplement un fanatique. Ni plus ni moins. Cette mise en garde pour prévenir ceux et celles qui tenteraient de le considérer comme un journaliste, encore moins, comme un philosophe ou un quelconque intellectuel.
« À la base, le nom Fanatik était une provocation », déclare Dieunou Maurice, expliquant son élan vers une déconstruction du mode de représentation faite autour de ce qu’est un fanatique. Grandi avec l’idée qu’un fanatique est toujours là pour applaudir, donner le quorum, il finit par comprendre la charge négative dont le mot fanatique est porteur dans l’histoire de l’humanité. Il a voulu, à travers sa page, apporter un contre discours. « Je refuse de comprendre que le fanatique est quelqu’un qui ne peut pas réfléchir. Je refuse de comprendre que le fanatique c’est quelqu’un qui n’a pas de science », rétorque Dieunou Maurice.
En observant l’espace de production du discours sur la musique en Haïti, souvent, il y a les professionnels de l’information, il y a les professionnels qui fabriquent la musique, les investisseurs qui y mettent de l’argent. Le seul groupe dans le secteur qui a pour mission de contribuer au progrès de la musique c’est les fanatiques, jure-t-il. Selon lui, la parole du fanatique est toujours orientée. Soit il intervient dans une émission pour donner son avis et ça s’arrête là ou du moins en proférant des injures dans ses commentaires quand il n’est pas d’accord. Il s’est dit que ce n’est pas possible. « Nous les citoyens haïtiens, on est beaucoup plus intelligent que cela et l’on a quelque chose à dire », pense-t-il.
Dieunou Maurice veut, par l’entremise de Zonefantik, donner une nouvelle lunette aux gens dans leur besoin d’approcher les choses et exercer leur liberté d’expression. « J’ai décidé de créer Zonefanatik en vue de mettre dans l’actualité, les discours de certains qui se réclament fanatiques, mais qui s’autorisent à penser au de-là du simple fanatique qu’ils sont », précise-t-il.
Si Dieunou conçoit l’espace de la sorte, c’est pour lui une manière d’interpeller ceux et celles qui se réclament fanatiques tout comme lui. « Il y aura toujours des arguments pour expliquer un point de vue. Inutile de s’injurier parce qu’on a des discours différents. Au contraire, c’est une bonne chose pour la diversité des discours qu’il y a sur la musique », avance celui qui fait son doctorat en psychologie sociale et cognitive.
Dans cette démarche de se présenter comme simple fanatique s’autorisant à porter une parole sur la musique comme étant un bien commun, il invite les autres à se questionner et à remettre en question leur manière de voir les choses. « Je crois que le fanatique est une personne qui est penchée dans sa réflexion sur quelque chose. Mais cela ne fait pas d’elle une personne qui est incapable de bonnes réflexions », souligne le maitre à penser de Zonefanatik.
Toutefois, il est à souligner que si Dieunou se cache derrière le thème de « Fanatik » pour faire ses agitations, porter des discours contradictoires et défier certains animateurs et fans (consommateurs) de la musique. Ce n’est pas uniquement pour déconstruire ce système de pensée et d’action qu’il a en horreur. C’est aussi et surtout pour se donner beaucoup plus de marges de manœuvre dans sa quête. « Je suis journaliste de formation. Je pouvais envisager un travail journalistique sur la musique. Mais je ne le fais pas. Parce que je veux être libre de parler de musique et parfois en parler à la dimension de l’amour que j’éprouve pour les gens (artistes, groupes », clarifie le maître en management et logistique.
Une parole pour demain…
La frustration dont Dieunou Maurice s’enracine dans le fonctionnement de l’industrie musicale haïtienne qui, selon lui, perd son caractère en termes de bien commun pour devenir un marché ou animateur, artiste et producteurs vise uniquement à faire de l’argent. « Honnêtement, si j’avais le moyen, c’est un média citoyen que je ferais pour convoquer tous les citoyens en vue de parler musique à tous les niveaux possibles et imaginables », regrette le fondateur de Zonefanatik, persuadé qu’il est possible de parler de la musique haïtienne dans une dimension de science. Mais avec la configuration du milieu, la tâche serait difficile.
« Aujourd’hui, ce qui se fait comme travail médiatique, par le fait que cela vise à faire de l’argent, il n’y a pas de possibilités de trouver des traces de pensée là-dedans. Or, je crois que le pays possède des fils/filles qui en sont capables », ajoute M. Maurice.
Cette aventure et ce besoin de servir la musique haïtienne le portent vers des promesses pour le futur, des chantiers dans le présent. Il travaille avec des groupes musicaux et des artistes, il conçoit des projets sur qui il travaille avec sa femme. « Je suis en train de réaliser des contenus en format interview. Mais ce seront des documentaires. Il y a des documentaires qu’on fait à l’étranger et qu’on ne fait pas en Haïti. Je vais les réaliser. Je ne vais pas le faire à la manière des médias », confie Dieunou Maurice qui ne manque pas de mots pour faire l’éloge de sa femme psychologue qui représente la pierre angulaire de Zonefanatik.
Par-delà de tout, Dieunou Maurice veut marquer l’espace, le temps et l’esprit des gens. C’est de là que résident ses prétentions pour demain. « Ce que j’aurai souhaité avant ma mort, c’est de trouver des Haïtiens.nes aptes à faire des débats de fond sur la musique juste parce qu’ils ont trouvé des contenus mis à leur disposition pour le faire », envisage le doctorant en psychologie sociale et cognitive, soulignant qu’il vise à mettre des contenus qu’on n’hésitera pas à citer comme référence dans des cours à l’université.
Sa deuxième prétention est de créer des contenus que d’ici 2030, aucun professeur, peu importe l’université, n’aura de difficultés à citer ses vidéos avec des informations et sources importantes. « Je souhaite à un moment, transformer Zonefanatik en une école physique. Un centre d’éducation dématérialisée toujours dans le domaine du management, accessible à tous. Musiciens, simples consommateurs et autres », nous explique la voix de Zonefanatik.
Pour Dieunou Maurice, les fanatiques ne doivent laisser aux médias toute l’attitude d’influencer ou non la carrière des artistes. Ils doivent, pour tous les moyens, supporter ceux et celles qu’ils/elles aiment. Et dans cette perspective, il compte créer un espace de choix pour les jeunes artistes. La création d’un site internet avec un formulaire disponible. Peu importe leur zone de résidence, les jeunes artistes qui remplissent le formulaire pourront m’envoyer leurs vidéos et elles seront postées sur la page de Zonefanatik, annonce le moteur du projet.
« Zonefanatik est une page Facebook, un compte twitter, une chaine You tube » c’est de cette définition que tout le monde devait se contenter. Dieunou Maurice refuse de prendre Zonefanatik pour un média, il n’arrive pas cependant à mettre un nom dessus. Tout le monde devrait le considérer comme simple espace d’échanges entre fans de la musique. De son point de vue, le média est dans l’information. Il est condamné à porter une parole équilibrée. Pourtant, explique-t-il, Zonefantik se lance dans un travail idéologique. C’est, à ses yeux, un outil politique capable de participer à la construction d’une nouvelle Haïti.
Jean Robert Bazile
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