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Émergence de la langue des signes : avancée significative vers l’inclusion des sourds en Haïti ?

En Haïti, les personnes qui souffrent de troubles de l’audition sont souvent marginalisées. Bien qu’Haïti ait ratifié, en 2009, la Convention des Nations Unies relatives aux Droits des Personnes handicapées (CRDPH), l’inclusion des personnes handicapées, notamment les sourds, est loin d’être une réalité. Pour aider à combattre l’exclusion des malentendants, certains jeunes s’orientent vers la langue des signes.



Reportage


Une vingtaine d’étudiants.es en niveau II sont déjà installés dans la salle de classe. Chaque week-end, c’est le même enthousiasme au sein de l'Institut haïtien de Langue des Signes (IHLS) à l’avenue Lamartinière, en plein cœur de la capitale du pays. Le professeur, vêtu d’un t-shirt bleu frappé de l’écriteau de l’institut et d’un pantalon jean bleu, s’apprête à dispenser son cours. Une radio et un ordinateur portable sont déposés sur son bureau. Et pour l’accompagner, une facilitatrice, portant une robe verte, se tient devant la classe. Aucun son n’est pratiquement émis lors de la séance jusqu’à ce que le professeur ouvre la radio pour diffuser des phrases que les étudiants.es transforment en langue des signes. Il est 14 heures, c’est la fin du cours.


Nous rencontrons Maranatha Baptiste, 23 ans. Elle est sourde et joue le rôle de facilitatrice de cette classe depuis plus d’un mois. La vie quotidienne de la jeune fille est loin d’être un long fleuve tranquille.


« Des personnes me harcèlent à cause de mon handicap », nous confie-t-elle avec l’aide d’un interprète. La communication demeure la plus grande difficulté de Marathana.

Dans les espaces publics, elle n’a aucune possibilité de se faire comprendre ni de comprendre les autres. Une situation qui la rend furieuse. « J’accepte que je sois sourde. Mais quand j’arrive dans un hôpital et que je ne trouve pas d’interprète qui puisse traduire pour moi, c’est révoltant », déplore-t-elle.


Pour pouvoir communiquer, la jeune écolière se voit obligée d’écrire le service qu’elle souhaite obtenir quand elle se rend dans une institution. Une solution que les personnes sourdes qui ne savent pas écrire ne sauraient envisager. Une option qui n’est pas non plus envisageable en cas d’urgence. Maranatha espère un changement de situation. « Je souhaite l’inclusion des personnes atteintes de surdité. J’aimerais entrer à l’université pour étudier la pharmacologie et aussi l’hôtellerie. Je ne sais pas si ce serait possible », fait-elle savoir.



Contre les discriminations, des jeunes s’engagent


Selon la Fédération mondiale des Sourds (FMS), il existe environ 70 millions de personnes atteintes de la surdité à travers le monde et 80 % d’entre elles vivent dans les pays en développement. Haïti, où l’inclusion reste un rêve, ne dispose pas de chiffres sur le nombre des personnes vivant avec ce handicap dans le pays depuis 2003. Dans les espaces publics et privés, les personnes qui peuvent communiquer en langues des signes brillent par leur absence. Et pour inverser la tendance, des jeunes s’investissent dans la promotion de la langue des signes dans le pays.


« Ce qui m’avait motivé à apprendre la langue des signes, c’est parce que je vois qu’on met les sourds à l’écart dans le pays. C’est la meilleure façon d’apporter mon support aux personnes qui ont des troubles de l’audition. Je juge qu’il est normal de les intégrer dans la communauté puisque la Constitution dit que nous sommes tous égaux en droits », souligne Jonathan Maurice Moncher, étudiant de l’Institut haïtien de Langue des Signes (IHLS).

Jonathan dit être indigné du fait que la majorité des cérémonies officielles n’ont pas d’interprètes en langue des signes. Il pense que les policiers qui s’occupent de la circulation devraient aussi apprendre à utiliser cette forme de communication. « Imaginez ce qui pourrait se passer si un policier rencontre un sourd au volant d’une voiture. Il ne pourrait pas communiquer avec lui. Ce qui est vraiment anormal », juge-t-il en proposant que la langue des signes soit la troisième langue officielle du pays. En ce sens, Jonathan suggère au ministère de l’Éducation d’intégrer la langue des signes dans les cursus. « On n’aura pas de difficultés à communiquer avec les malentendants », croit fermement le jeune étudiant.


De son côté, Isabelie Israëla Iseraël avoue qu’elle a un amour particulier pour la langue des signes. Elle pense que faire le choix de la langue des signes est la meilleure façon de faire la promotion de l’inclusion des personnes handicapées, notamment les sourds dans le pays. « J’aime voir quand les personnes signent entre elles et j’aimerais que les personnes vivant avec un handicap trouvent leur place dans notre société », dit-elle.


Pour Isabelie, la langue des signes a une place très importante dans toute société. C’est l’excellent moyen pour que les sourds ne se sentent pas rejetés à cause de leur handicap. « Je plaide pour qu’il y ait beaucoup plus d’écoles spécialisées en Haïti et aussi en langue des signes. J’encourage plus de personnes à se diriger vers ce domaine pour combattre les discriminations envers les personnes handicapées », suggère-t-elle.



La langue des signes pour combattre l’exclusion


La Convention relative aux Droits des Personnes handicapées (CRDPH) reconnaît les langues des signes et les langues parlées - engageant les États parties à en faciliter le recours et l’apprentissage. L’article 5 du document plaide pour la protection des personnes handicapées contre toutes formes de discriminations et le 9 pour l’accessibilité. L’Institut haïtien de Langue des Signes veut changer la donne. Cet établissement offre une formation spéciale en 3 niveaux. Une fois le cycle de neuf mois terminé, les étudiants.es peuvent choisir entre la traduction et l’enseignement.


Scheneide Lorvens Vilbrun est instructeur à l’IHLS. Selon lui, l’apprentissage de cette langue est un grand pas vers l’inclusion des sourds dans le pays. « La langue des signes a une grande importance dans l’inclusion des sourds. C’est un moyen de briser les barrières de la communication entre les malentendants », martèle celui qui enseigne à cet établissement depuis 2021. Le formateur a pu s’orienter vers cette langue après avoir assisté à une graduation des étudiants en langue des signes. Selon ce qu’il raconte, il a nourri l’idée à partir d’un scénario à travers une pièce de théâtre. « Le théâtre a mis en scène une famille sourde qui était dans l’impossibilité de communiquer avec les personnels de santé dans un hôpital. C’est à partir de là que je me suis dit que je devais apprendre cette langue pour aider ma communauté », se souvient l’ancien étudiant de l’IHLS.


À en croire le professeur Vilbrun, les apprenants de l’IHLS sont nombreux à être étudiants.es dans d’autres disciplines. « Il y a beaucoup d’étudiantes en Sciences infirmières. Ils viennent apprendre à signer au cas où ils rencontrent un patient sourd pour qu’ils puissent communiquer avec lui. En un mot, c’est un atout pour eux », reconnaît-il dans un pays qui peine à inclure les personnes handicapées dans toutes les sphères sociales. Pourtant le pays a ratifié la Convention relative aux Droits des Personnes handicapées en 2009. Mais selon


Fenel Bellegarde, le cofondateur de l’IHLS, elle est loin d’être respectée. « Haïti n’a pas un problème de lois, mais de leur application », soutient-il.



Pour aider à combler les vides, ils [lui et d’autres collègues] ont nourri l’idée de créer une institution pour venir en aide aux besoins des personnes sourdes en février 2017. « Nous avons constaté que les sourds n’avaient accès à aucun service social de base. Quand ils vont à la banque, au supermarché… ils ne trouvent pas d’accès », constate le défenseur des droits des personnes handicapées. L’Institut haïtien de Langue des Signes a su donner le ton dans ce domaine. « L’IHLS est la mère des écoles en langue des signes en Haïti. Grâce à notre promotion et notre sensibilisation, plusieurs autres écoles en langue des signes ont pris naissance », s’enorgueillit, M. Bellegarde tout en précisant que certaines de ces écoles sont des initiatives de ses anciens.nes étudiants.es.


Fabiola Fanfan

Ce projet de contenus est soutenu par IFDD



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